« Le Monde antique de Harry Potter », de Blandine et Valentine Le Callet
À qui ne serait pas convaincu, vingt ans après l’apparition de Harry Potter sur les étals des libraires, de la littérarité d’une œuvre dont la popularité excède tout ce que le monde de l’édition a connu à ce jour, il conviendrait de faire lire l’encyclopédie de Blandine Le Callet, Le Monde antique de Harry Potter, récemment publiée chez Stock.
L’ouvrage constituera une mine d’informations pour le professeur de lettres classiques qui voudrait aborder l’apprentissage du vocabulaire ou les mythes antiques par un détour ludique.
Blandine Le Callet, qui enseigne le latin à l’université de Paris XII a traduit le théâtre de Sénèque [1] pour les éditions Gallimard et publié un ouvrage consacré à la naissance et au développement du concept de monstruosité dans la Rome antique [2], semblait donc naturellement désignée pour interroger la saga Harry Potter qui fourmille de monstres en tout genres et de formules magiques sibyllines et humoristiques destinées à les conjurer.
Le latin langue privilégiée de la magie
Les nombreux articles qui éclairent le sens des formules magiques ou des mots de passe utilisés par les protagonistes de la saga montrent que le latin est la langue privilégié de la magie. Il permet de véhiculer une parole performative qui, conformément aux lois du monde de la sorcellerie, agit sur le monde. La plupart des sorts sont d’ailleurs constitués de sujets + prédicats – confringo (« je brise »), confundo (« je trouble », « je mélange »), evanesco (« je disparais »), expulso (« je lance », « je renvoie ») – ou de mots valise comme expelliarmus qui combine expellere (« chasser ») et armus (« l’arme »).
Blandine le Callet ne perd jamais de vue le fait qu’elle travaille sur une traduction. Elle éclaire donc aussi le travail du traducteur, qu’il s’agisse de justifier le travestissement des formules magiques – la formule assurdiato, par exemple, s’est substituée dans la traduction française à Muffliato de to muffle (« étouffer », « assourdir »), dans la version originelle. Assurdiato apparaît comme un néologisme dérivé de surdare qui signifie « rendre sourd » – ou de rendre compte du choix d’un nom propre, le professeur Rogue (forme française de Snape) rend finalement assez bien son étymologie anglaise : to snap, qui signifie « agresser verbalement », « parler d’un ton sec ».
L’ancrage du récit dans la mythologie gréco-latine
Si ce travail de linguiste présente un intérêt évident, tout en mettant l’accent sur l’immense culture de J.-K. Rowling, c’est toute la réflexion consacrée à la dimension mythologique de l’œuvre qui s’avère la plus passionnante. Le Monde antique de Harry Potter consacre évidemment des notices aux innombrables figures mythologiques (centaures, chimères…) qui peuplent les aventures du jeune sorcier mais l’ouvrage manifeste surtout avec une pertinence remarquable l’ancrage du récit dans la mythologie gréco-latine.
C’est à une recherche systématique des mythèmes que s’est adonnée l’auteure. Passant en revue les différents personnages, elle montre leurs accointances avec les figures du monde antique. Le lecteur comprendra ainsi comment la figure de Zeus se réincarne en Dumbledore, directeur de Poudlard, mage tout-puissant, bienveillant mais parfois terrible, maître du feu qui, comme son modèle grec, sait se plier aux volontés de puissances inconnues (les destinées). Dumbledore présente aussi de troublantes analogies avec Socrate, le sage ironique et stoïque, et s’avère, tout comme lui, un merveilleux accoucheur d’esprits.
Hermione l’amie fidèle de Harry est liée par son nom (issu du grec hermeneuein, « interpréter », « expliquer ») à la vocation de déchiffreuse mais elle est aussi un avatar de Prométhée, par sa prévoyance et son constant souci des autres, ainsi qu’une guerrière accomplie dont la parenté avec Athéna ne saurait faire de doute. Quant à Harry lui-même, il est l’incarnation du héros sous toutes ses facettes, assimilable à Dionysos par les circonstances de sa naissance, réincarnation d’Œdipe par son inlassable quête des origines, il vainc les monstres comme le font Thésée, Ulysse ou Persée, il est aussi celui qui revient des enfers, dans un épisode (fin du tome VII) qui n’est pas sans rappeler la catabase d’Ulysse dans l’Odyssée.
Les clés de l’universalité
On le découvrira en feuilletant cet ouvrage particulièrement stimulant : Blandine Le Callet a mis son érudition et le sérieux de sa démarche de chercheuse au service de cette épopée moderne qu’est la saga Harry Potter. Si les articles de fond, consacrés aux principaux protagonistes de la série, délivrent des réflexions stimulantes, les articles plus brefs qui pourraient sembler anecdotiques offrent parfois un intérêt majeur. Ainsi découvre-t-on que le prénom de la sœur de Dumbledore (Ariane) n’a rien d’anodin, elle remplit d’ailleurs, à l’instar de son homologue mythologique, cette fonction de guide qui permet « aux héros de pénétrer dans un lieu inaccessible ».
En plus de six cents articles, Blandine Le Callet donne les clés qui expliquent l’universalité de la saga Harry Potter. J.-K. Rowling a su emprunter à toutes les sources de la culture occidentale pour offrir à son public une œuvre ambitieuse, qui redonne vie de façon joyeuse, originale et résolument moderne aux mythes dont se nourrit notre imaginaire depuis l’antiquité.
La dimension encyclopédique de l’ouvrage est en outre soulignée par les magnifiques lettrines de Valentine Le Callet qui, inaugurant chaque section, synthétisent avec un sens de la composition volontairement hermétique, les figures évoqués dans les différentes parties du dictionnaire. Ce travail contribue à faire de l’objet livre un dictionnaire désirable qui cultive, comme son sujet, antiquité et modernité, de façon pertinente.
Stéphane Labbe
• Blandine et Valentine Le Callet, « Le Monde antique de Harry Potter », Stock, « Essais, Documents », 2018, 554 p.
1. Sénèque, Médée, « Folio », 2014 ; Œdipe, « Folio théâtre », 2018.
2. Blandine Le Callet, Rome et ses monstres, naissance d’un concept philosophique et rhétorique, Éditions Jérôme Million, 2005.