Le passé des héros et le futur de l’industrie : "Star Wars VII. Le Réveil de la force"
Il est très difficile d’échapper au matraquage publicitaire du dernier épisode de Star Wars. Certes, les affichages sont dans toutes les villes de France, la rumeur savamment entretenue enfle depuis plusieurs mois et chaque magazine, chaque émission parodient ce film de telle sorte qu’il en devient un événement sociétal qui rassemble dans une belle utopie communautaire les plus âgés qui se souviendront de leur enfance grâce à l’industrie hollywoodienne et les jeunes qui vivront leur enfance dans la continuation de leurs aînés.
À vrai dire, il y a longtemps que cette saga américaine est dans les têtes des Occidentaux, petits et grands. La musique de John Williams, la respiration de Dark Vador, les armures de la Garde impériale, la voix des robots et les personnages élevés au rang de mythe : George Lucas, le réalisateur du premier opus en 1977 et le producteur de cette série, a réussi un gigantesque coup industriel.
Mais qu’a-t-il réussi au juste ?
Des personnages qui résistent à toutes les époques
On pourrait répondre qu’il a inventé des personnages qui résistent à toutes les époques, tant ils fonctionnent par un schématisme psychologique (le bien, le mal, la tentation et l’initiation) et graphique (tous les corps sont réduits à des silhouettes très identifiables). Surtout, il a réussi à créer une série presque infinie et à faire admettre son extension par chaque spectateur.
Après le premier opus, il y a eu L’empire contre-attaque et Le Retour du Jedi qui ont poursuivi l’histoire de Luke Skywalker et de Leia Organa ; puis Lucas a mis en place trois anté-épisodes qui ont expliqué comment Dark Vador est devenu la figure a plus célèbre du Mal hollywoodien ; enfin il y a cette nouvelle trilogie qui commence avec Le Réveil de la force avant de découvrir des séries dérivées autour, notamment, de Han Solo.
L’ambiguïté de cette série de films est de confondre le rallongement du temps industriel et le destin de personnages sériels. D’une part, le récit nous offre ici de nouvelles variations sur les thèmes de l’initiation, de la maîtrise et du combat ; de l’autre, l’épisode ressemble à cette voiture dont on a gardé plus ou moins la carrosserie et l’habitat tout en lui donnant un nouveau moteur, plus moderne et plus puissant.
Nostalgie et renouvellement
Le perfectionnement du modèle historique n’avait pas marché dans les épisodes I, II et III, trop lents, trop prévisibles, se raccordaient trop mollement à ce que le spectateur savait des personnages. Pour cet épisode, Abrams maîtrise parfaitement les mécanismes de la nostalgie et du renouvellement. Il sait jouer sur les deux tableaux de la découverte et du souvenir : les plus vieux retrouveront les personnages qu’ils connaissaient déjà, le passage du temps en plus, alors que les plus jeunes auront peut-être le goût des premières fois.
Abrams installe en permanence une connivence qui permet de retrouver l’esprit de la série sans gêner la compréhension du récit à l’attention de ceux qui ne connaissent rien. Nous retrouvons le générique déroulant, les personnages et leurs caractères, les déserts et les étendues glacées, les duels avec épée laser et les combats aériens. Abrams est même fidèle à des effets de signature comme des usages de la transparence lors des combats ou façons de cadrer les espaces vides et les espaces confinés.
Ce qui m’a le plus surpris c’est la constance avec laquelle il montre le vieillissement dans un univers pourtant marqué par l’obsession du rajeunissement. Cela commence par l’arrivée de Max von Sydow dans le rôle d’un « vieil ami » que je n’ai pas réussi à identifier. Von Sydow est connu pour avoir joué dans une dizaine de films d’Ingmar Bergman et pour avoir mené une carrière au sein d’Hollywood dans des films de divertissement, de Conan le Barbare à Minority Report. Il a une fonction analogue à celle de Peter Cushing, célèbre acteur de films d’horreur de la Hammer et qui a joué un général dans le Star Wars de 1977. Il sert à faire le lien entre la cinéphilie et la culture populaire, entre le passé et le présent.
Le jeu entre l’ancien et le nouveau
De fait, la plupart des plans évoquent ce jeu entre l’ancien et le nouveau, la mémoire et le présent, la contemplation de ce qui existe encore et la violence de sa mise à mort. Les objets, par exemple, oscillent entre la ruine et la renaissance, comme le Faucon Millenium, l’épée de Dark Vador, le robot R2D2. Tout ce qui est nouveau, de façon symétrique, n’est le plus souvent qu’un perfectionnement de l’ancien : la base de l’Empire qui représente l’Étoile noire en beaucoup plus grand, l’épée de Kylo Ren.
Même les personnages principaux améliorent le couple originel formé par Leia et Luke en comblant ce qui a été beaucoup reproché aux premiers épisodes : une femme trop effacée et des minorités trop peu présentes. Ici, la femme est héroïque sans être masculine et un héros noir rejoue les récits de l’affranchissement et de l’initiation valeureuse.
C’est pourtant ici que ce film surprend un peu et déjoue ce qu’il est, c’est-à-dire sa nature de machine hollywoodienne stylée mais assez vide. On peut prendre plaisir à son récit et y trouver une sorte de simplicité enfantine qui fait le lien avec les romans d’aventure de Stevenson comme Le Maître de Ballantrae : il y a dans ce film des luttes à mort et des survies nécessaires qui montrent comment le mal résiste toujours au bien et comment le fils rejoue sans cesse la mort du père.
Quand la mémoire du spectateur est gérée comme un patrimoine
La trame œdipienne est cependant lourde et bien usée ; en outre, les éléments clés du récit d’aventures comme la carte tour à tour perdue, trouée puis à reconstituer paraissent très artificiels. C’est peut-être une caractéristique d‘Abrams qui nous refait ce coup presque systématiquement : sous la forme de la machine de Rambaldi dans la série télévisée Alias, de la « patte de lapin » dans Mission : Impossible III ou du lego extraterrestre dans Super 8. Hitchcock appelait cela un McGuffin : un objet qui ne signifie rien en lui-même mais dont le film a besoin pour avancer.
Mais ici l’avancée est vraiment poussive et l’absence de signification trop proche du rien du tout : on a besoin de rêver, de croire en cette carte, de vouloir localiser la cachette secrète de Luke. Non vraiment, c’est expédié avec trop de désinvolture.
La force du film est de gérer la mémoire du spectateur et du récit comme un patrimoine et de créer une émotion plus ou moins vive dès qu’un personnage réapparaît du fond du temps en portant sur lui les traces du passé. C’est évident, me semble-t-il, pour Harrison Ford et sa phrase qui avait fait les délices du teasing par la bande-annonce : « Chewby, we’re back home. » C’est la première phrase qu’il prononce et ce raccord entre son image juvénile en tant que Han Solo et l’homme de 70 ans qu’il est devenu est émouvant.
Abrams sait très bien rappeler les formes du passé, que ce soit un objet (comme une épée et un masque détruit) ou un personnage (comme une princesse encore belle ou un robot rafistolé). Il ne s’agit même pas de l’intelligence du jeu des acteurs qui sont concernés : Carrie Fisher sourit assez souvent et Ford navigue entre le sourire narquois et l’absence d’expressivité manifeste. Abrams fait confiance à l’incarnation et ne cherche à masquer ni le lifting, ni les rides et les cicatrices.
Nous pourrions le résumer dans un va-et-vient entre « ce qui reste » de la mythologie (Han Solo parle de lui ainsi : « ce qu’il en reste ») et le choix de la faire dialoguer avec le présent. Han Solo en est le pivot narratif car il fait le lien avec le Bien (puisqu’il sait faire équipe avec la jeune femme héroïque) et avec le Mal (car des liens le rattachent à Kylo Ren).
Maestria cinématographique et vide narratif
Le meilleur exemple est encore la manière dont Abrams, en tant que réalisateur et scénariste, a traité le problème de Dark Vador. Comment continuer la série sans son méchant le plus fascinant ? Il n’en propose pas un autre mais invente une forme de ressemblance et de hantise. Le masque de Kylo Ren stylise celui de Dark Vador ; mais il fait ce que Lucas n’avait jamais fait pour Dark Vador : il ne le défigure pas et lui fait retirer son masque pour présenter un visage sensuel, féminin.
L’avantage, c’est que ce jeu sur les visages est tenu jusqu’à la fin du film, avec un dernier plan exceptionnellement réussi qui concilie le travail du passé et la relance du récit. Le spectateur veut en savoir plus et voir plus longtemps ce qu’on lui montre.
L’inconvénient, c’est que cette malice de metteur en scène se fonde parfois sur un grand vide narratif, au moins lors de la première partie du film. Hollywood nous montre avec quelle maestria il invente une histoire infinie, mais le risque est que la boucle tourne en rond.
Jean-Marie Samocki
Voir sur ce site :
• « Star Wars VII » ou le réveil poussif de la force, par Antony Soron.
• « Star Wars, une saga, un mythe », de Laurent Aknin, par Stéphane Labbe.