Les institutions culturelles et l’Éducation nationale
On assiste depuis une dizaine d’années à une impressionnante augmentation de l’offre d’accompagnement pédagogique de la part des institutions culturelles d’État : théâtres, musées, bibliothèques.
Accès facilité pour les publics scolaires, tarifs particulièrement bas, aménagement de rencontres, de conférences, dossiers à disposition, partout en France les relais culturels de l’État, à commencer par les DRAC, déploient une belle énergie pour rapprocher le monde de l’éducation, enseignants et élèves, du monde des arts et des artistes.
Théâtres nationaux à Paris, scènes nationales et scènes conventionnées en province, musées nationaux ou régionaux accompagnent souvent avec imagination et intelligence la volonté de l’État de doter au maximum l’ensemble des territoires d’outils d’actions culturelles auprès des plus jeunes. On peut pourtant douter de l’efficacité réelle de ces ressources, tout comme de leur finalité ultime.
Poudre aux yeux ?
Si le nombre d’entrées scolaires est en augmentation constante année après année ne reste-t-il pas infime eu égard aux millions d’enfants scolarisés ? N’est-il pas condamné à rester marginal ? On peut craindre d’avoir à se contenter de chiffres en hausse sans effet réel sur la population scolaire encore majoritairement éloignée des lieux de culture. En effet, l’écart est encore grand entre les moyens et ressources mis à disposition par les diverses institutions et leurs services pédagogiques et la volonté réelle de l’Éducation nationale de conduire ses élèves hors des murs.
Rappelons que les sorties ne sont toujours ni obligatoires ni gratuites, que leur organisation est toujours soumise à des contraintes administratives lentes, lourdes, et sans gratifications pour les enseignants, que leur rareté voire exceptionnalité en fait encore un événement plus qu’un engagement dans une éducation culturelle suivie, et qu’à tout bien considérer il y a un peu de poudre aux yeux dans ces incitations qui figurent toujours en bonne place dans les documents officiels mais laissent insensibles beaucoup de terrain.
Constat : l’accès aux lieux de culture est limité et inégalitaire
Qui connaît le Carnet du spectateur proposé par le réseau Canopé (et qui a envie de l’utiliser !) ? Qui ne s’interroge sur le prochain Carnet personnel de lectures et de formation culturelle du futur bachelier ?
Du reste le nombre même d’entrées ne trouve-t-il pas ses limites ? La capacité d’accueil des théâtres et musées n’est-elle pas contrainte par des questions de places, de prix, de temps ? Que ferait la Comédie-Française si tous les établissements scolaires projetaient une sortie ? Comment accueillir sur le temps scolaire lorsque conférences et formations sont programmées en fin de journée ou le week-end ? Faut-il accepter une forme de sélection dans l’accès à ces lieux ?
Certains retiennent déjà les demandes sur présentation préalable de projets pédagogiques, d’autres choisissent des publics particuliers (de préférence établissements en RÉP). Alors, à défaut de sélection, les ressources en ligne, documents à télécharger, cinéma sont-ils le seul avenir de ces ouvertures, les seules solutions devant les inévitables contraintes matérielles ? Sera-ce suffisant pour dépasser l’inégalité entre Paris et la province ?
Cette politique d’accès aux lieux de culture semble à la fois physiquement limitée et socialement inégalitaire eu égard à la répartition territoriale du patrimoine français et à la diversité sociale des établissements. Une fois de plus, dans l’optique d’une éducation à la culture, mieux vaut être scolarisé à Paris.
Le meilleur de l’enseignement sera-t-il bientôt donné à l’extérieur de l’école ?
Enfin n’y a-t-il pas aussi avec la multiplication des dossiers, des livrets, des parcours, une forme d’intrusion dans l’enseignement des enseignants ? Est-ce vraiment une aide à la préparation d’un cours ou une prise en charge de cette préparation ?
L’impression s’insinue parfois d’une formation indirecte adressée aux enseignants qui peuvent bénéficier de véritables ateliers d’approfondissement artistique de leur discipline. Les institutions réalisent en effet des présentations d’œuvres ou d’expositions dignes de manuels, proposent des conférences dignes de l’université, disposent de ressources dignes d’une bibliothèque.
Le Louvre programme déjà des sessions d’enseignement, la Comédie-Française offre également des ateliers réservés aux enseignants, la Réunion des Musées nationaux assure des cours d’histoire de l’art… N’allons-nous pas vers un glissement de l’enseignement où se mêleraient spécialistes intervenants extérieurs, et professeurs gestionnaires de classes ?
Ce dynamisme d’État en matière d’éducation culturelle laisse un sentiment ambigu : on ne peut que se réjouir de ces ouvertures et facilités nouvelles mais n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Le meilleur de l’enseignement sera-t-il bientôt donné à l’extérieur de l’école ?
Pascal Caglar
• Le Carnet du spectateur proposé par le réseau Canopé.
• Le partenariat du musée du Louvre avec les établissements scolaires et périscolaires.
Cet article est passionnant. Ma réponse va être désagréable pour le corps enseignant. J’habite une petite ville de Province où tout le monde se connait et où il y a une vie culturelle assez riche. Je suis passionnée d’expos, de littérature, de musique etc…et je transmets ma passion à mes élèves car si un jour ils n’ont plus rien, tout ça leur restera. Lorsque des spectacles de très grande qualité, des auteurs mondialement connus mais non médiatisés, des films incroyables, etc., passent dans ma ville, il n’y a JAMAIS aucun enseignant au musée ou dans les salles. Ce qui n’est pas visible dans les grandes villes, se constate aisément en Province. Je trouve cela triste.
S’ils ne s’intéressent pas à une forme de culture, comment peuvent-ils la faire découvrir à leurs élèves. Les partenaires (nombreux) avec qui je travaille ne m’impose jamais rien et répondent à ma demande.Mon fils est en troisième, il n’a jamais visité de musées avec l’école, il va deux fois par an au cinéma mais il n’y a aucune suite et depuis qu’il est au collège, il n’a jamais vu un spectacle vivant. Tous les ans, il y a un salon du livre avec des auteurs « jeunesse » excellents, il n’y a jamais participé. Tout ça se passe dans un petite ville culturellement riche.
Bientôt un musée archéologique à portée internationale ouvrira ses portes et nombreux sont les enseignants de ma ville qui n’y amèneront pas leurs élèves car ça ne fait pas partie du programme. C’est tellement bien d’apprendre l’histoire en allant visiter sa ville, de découvrir l’art dans les musées ou les galeries qui aiment ouvrir leurs portes, d’écouter de la musique réelle et non pas en boite! C’est la vraie vie et c’est plus passionnant que des polycopiés. Il se passe tellement de choses pendant ces moments-là! Encore une fois, merci pour cet article que je conserverai précieusement.