Les Rascals, de Jimmy Laporal-Trésor :
touche pas à mes potes
Par Inès Hamdi, professeure de lettres en collège (académie de Créteil)
Qu’est-ce qui agitait la jeunesse parisienne des années 1980 ? Dans son premier long-métrage, Jimmy Laporal-Trésor propose un contrepoint saisissant de la France de Mitterrand, à l’imagerie clinquante et insouciante. Il oppose brutalement une bande métissée à des skinheads au cœur de Paris, en louchant vers les guerres de gangs du cinéma américain.
Par Inès Hamdi, professeure de lettres en collège (académie de Créteil)
La première séquence scelle les enjeux d’un film qui se tient en équilibre entre optimisme et pessimisme. D’un côté les liens indéfectibles que les membres de la bande des Rascals entretiennent, de l’autre la violence arbitraire des skinheads qu’ils affrontent.
Les jeunes Rico et Rudy deviennent amis après avoir été passé à tabac par des skinheads assoiffés d’une violence « Orange mécanique ». Le film amorce l’une de ses leçons : l’initiation s’opère par des coups. Mais le film va déjouer l’horizon d’attente d’une œuvre étiquetée « film de banlieue»: la guerre des gangs laisse place à une guerre de bandes sur fond de rockabilly, et convoque des souvenirs surgis de La Fureur de vivre, West Side Story ou Grease.
Jimmy Laporal-Trésor s’attache à retranscrire la transition entre le rock des années 1950 et le hip-hop, entre l’insouciance d’une jeunesse pop et l’intolérance à laquelle elle est confrontée. Il parvient aussi à relier dans les imaginaires les agressions racistes au centre de Paris, des influences cinématographiques américaines héritées de John Ford ou Sergio Leone et les archives de la France de Mitterrand.
Les espoirs suscités par l’élection du président socialiste se meuvent en crise socio-économique, un terreau favorable à la radicalisation d’une extrême droite protéiforme. La légèreté́ de la bande multiculturelle des Rascals rend d’autant plus saisissante la violence de certaines séquences. Derrière la stylisation d’une culture pop, elle arrache le spectateur de sa torpeur politique : le monde d’hier n’a rien d’une page tournée. Pire, la violence xénophobe s’est normalisée.
Dépourvu de didactisme, le film aborde les questions identitaires de personnages issus de flux migratoires différents : de Rico, fils d’immigrés d’une première génération en quête d’espoir, à Rudy, ultramarin rendu apatride, à Sovann, rescapé du massacre par les Khmers rouges. Ils portent les stigmates d’histoires dont ils héritent et dont les retentissements sourds les empêchent de trouver complètement leur place.
La culture composite de cette bande éclate joyeusement les repères, les langues fusent dans des dialogues exaltants de vie et de diversité́, le créole se mêle à l’argot des bouchers avec la force de l’évidence. Le réalisateur tire profit du format Scope en filmant ces zones urbaines comme de grands espaces des westerns américains.
A contrario, le plan se resserre sur des chocs, des regards qui se brisent : quand la jeune Frédérique assiste, tétanisée, au tabassage de son frère et sombre à son tour dans un cycle de violence. Ou quand Rudy mesure la distance qui s’élargit entre sa mère et lui. Par plans parallèles, le réalisateur signale que la vengeance n’accorde aucune victoire.
Interdit aux moins de 12 ans, Les Rascals porte une réflexion citoyenne fertile pour les collégiens et lycéens sur la question du vivre ensemble. En écho à la reprise amère de Douce France de Charles Trenet par Charles Trenet, il interroge : que reste-t-il aujourd’hui de cette « tendre insouciance » ?
I. H.
Les Rascals, de Jimmy Laporal-Trésor, film français (1h45), avec Jonathan Feltre, Angelina Woreth, Missoum Slimani, Victor Meutelet, Marvin Dubart, Jonathan Eap … Sortie le 11 janvier 2023.
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