Libération de Paris, la mémoire longue
Le 25 août 1944, après une semaine de combats, la population parisienne, soutenue par les troupes du général Leclerc, met fin à quatre ans d’occupation allemande dans la capitale.
Quelques mois plus tard, le 11 novembre 1944, le Musée Carnavalet présente « La Libération de Paris ». Ce panégyrique à la gloire des libérateurs, élaboré à chaud, tel un reportage, avec de nombreuses photos prises sur le vif, comporte quelques zones d’ombres.
Avec « Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé », le même musée Carnavalet, à soixante-dix ans de distance, revisite cette première exposition et s’interroge sur la manière dont on écrit l’histoire.
Le 14 juin 1940 la Wehrmacht entre dans Paris. Quatre ans après, le 25 août 1944, le général Dietrich von Choltitz, gouverneur militaire allemand du Grand Paris, signe l’acte de reddition de l’armée d’occupation à la Préfecture de police. Ce jour-là le général de Gaulle prononce l’un de ses plus célèbres discours :
« Nous sommes ici chez nous dans Paris levé, debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non, nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes, nous le sentons tous, qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.»
Paris outragé, mais Paris photographié
L’homme de l’appel de Londres ignorait bien sûr que sept décennies après avoir prononcé sa fameuse anaphore – « Paris outragé, ... » le musée Carnavalet la détournerait.
Mais le titre de cette exposition, « Paris Libéré, Paris Photographié, Paris exposé », est davantage qu’un clin d’œil ou qu’un coup d’œil dans le rétroviseur.
Elle revient certes sur la semaine d’insurrection pendant laquelle, du 19 au 26 août, le peuple parisien s’est opposé à l’occupant nazi.
Mais, s’appuyant sur cette commémoration, l’institution muséale se met elle-même en abyme en revisitant « La libération de Paris », une exposition dont elle a été l’instigatrice il y a soixante-dix ans ans.
Cette relecture de l’histoire immédiate tombe à une période où disparaissent les derniers témoins.
Une mise en abyme
Mais qu’est-ce que l’histoire ? D’emblée, le visiteur de « Paris Libéré, Paris Photographié, Paris exposé » est accueilli par une citation de l’historien Jean Favier tirée de son livre « Pourquoi se souvenir ? » (Grasset, 1999) :
« Pour les archivistes, l’essentiel n’est pas que l’on puisse toujours écrire l’histoire à chaud, c’est qu’on ne soit pas privé à jamais de la possibilité de l’écrire. »
Le 11 novembre 1944 (une date symbolique) le souvenir de la Libération de Paris est évidemment dans toutes les mémoires. C’est la date que choisit François Boucher, conservateur du musée Carnavalet et résistant, pour rappeler aux Parisiens, à travers une rétrospective largement documentée par les images des reporters photographes présents pendant les faits, combien ils ont été glorieux.
Un panégyrique, qui, comme tout exercice d’auto glorification, comporte des parts d’ombres. La place des femmes et des étrangers ayant pris part à cette insurrection y est sous-estimée ou ignorée tout comme l’odieux traitement réservé aux collaboratrices ainsi désignées par la vindicte populaire.
Certes, comme l’explique Catherine Tambrun, la commissaire de l’exposition, « Les images glorieuses et festives de la Libération venaient contrebalancer quatre ans d’intense propagande. » Quitte à fabriquer une nouvelle mythologie ? Mais c’est justement aux historiens de défaire les mythes.
L’actualité documente l’histoire
« Paris Libéré, Paris Photographié, Paris exposé » contextualise, explicite ce qui déborde du cadre de l’exposition initiale en revenant sur le quotidien des Parisiens pendant l’Occupation, le début de l’insurrection puis ses moments forts jusqu’à l’arrivée de la 2e division blindée. Elle se termine par le défilé du général de Gaulle sur les Champs-Élysées et par la présence américaine à Paris.
Elle constate surtout la prééminence de l’image, qu’elle soit le fait d’amateurs (une salle leur est réservée) ou de professionnels : Robert Doisneau, Roger Schall, Jean Séeberger, Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, Robert Cohen, René Zuber, Serge de Sazo, etc., sont dans le feu de l’action, derrière les barricades, au coin de rues ou dans l’embrasure des fenêtres pour suivre les événements en direct.
Paris libéré est abondamment photographié. Un certain Henri Membré « auto-proclamé responsable du Comité de Libération des reporters photographes de presse, essaie de prendre le contrôle de la diffusion des clichés destinés aux journaux issus de la Résistance« .
De l’occultation à l’oubli
C’est ce même Henri Membré qui ordonnera à Robert Doisneau de photographier l’insurrection du côté de Belleville et de Ménilmontant. Ce dernier, de sa propre initiative, décidera de gagner le Quartier latin et les alentours de Notre-Dame, théâtre de combats plus nourris. Il en rapportera des photos fameuses, iconiques pour certaines d’entre elles, comme celle de ce jeune FFI adossé, éreinté, à une barricade boulevard Saint-Michel. Un héros.
Mais où sont les héroïnes ? On sait aujourd’hui que les femmes ont pris une part très active dans ces combats. L’exposition de 1944 les occulte. De même qu’elle dissimule ce qui fut la honte de la Libération, la tonte de 20 000 femmes supposées collaboratrices ainsi que plus de 10 000 exécutions sommaires.
L’exposition de 2014 les réhabilitent, tout comme les étrangers. On sait que les premiers chars de la 2e Division blindée qui entrent dans la capitale sont conduits par des Espagnols. Sur les 15 000 hommes qui composent la division du général Leclerc 500 environs sont étrangers – Suisses, Anglais, Sud-américains et principalement espagnols – et plus de 3 000 sont Français d’Afrique. Donc Français…
Les étrangers qui participent à la Libération de Paris sont souvent peu visibles sur les photos, apprend-on pendant cette visite. Ils disparaissent en tant que tels à l’intérieur des groupes auxquels ils appartiennent – les FFI, l’armée française ou le » peuple de Paris ». La mémoire collective comme les images ont ainsi subordonné les revendications identitaires aux objets politiques.
L’exposition s’ouvre sur une citation d’un historien. Il n’est pas hasardeux qu’elle se termine par une citation d’un philosophe, Paul Ricœur: « Si on peut reprocher à la mémoire de n’être pas fiable, ce qui est le cas, c’est précisément parce que nous attendons d’elle qu’elle le soit. »
Olivier Bailly
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• « Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé », Musée Carnavalet, jusqu’au 8 février 2015.
• À voir également :
– « Août 1944, le combat pour la liberté. Hôtel de ville de Paris », jusqu’au 27 septembre 2014.
– Le site de la mairie de Paris présente une exposition virtuelle.
– Archives de l’INA : Les combats pour la Libération de Paris filmés par une équipe de cinéastes de la Résistance, seront les premières images de la France libre, diffusées par France libre actualités et le Comité de libération du cinéma français (CLCF).
• La Seconde Guerre mondiale dans les Archives de « l’École des lettres ».
• La Seconde Guerre mondiale dans les albums et romans de l’école des loisirs.
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