L’oral de mise en situation professionnelle
sonne-t-il le glas du Capes ?
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)
Qu’y a-t-il de commun aux Capes de lettres, de maths, d’histoire-géo, de chinois ou de philosophie ? Réponse : l’épreuve orale d’entretien de motivation et de mise en situation professionnelle, clé de voûte du nouveau Capes depuis la session 2022. Cet entretien suprême, supérieur à tous les objectifs disciplinaires, a pour objectif principal d’évaluer la connaissance des valeurs et des principes de la République des candidats, ainsi que leur aptitude à agir en fonctionnaires de l’État instruits de leurs droits et obligations. Pour en faire la démonstration, ils doivent discuter deux cas : l’un issu d’une situation d’enseignement, l’autre d’une situation de vie scolaire.
Avec cette épreuve inédite, le message du ministère est clair : des ignorances disciplinaires passe encore, des ignorances républicaines, pas question. Tout candidat doit être capable, en toute situation de tension dans sa classe ou son établissement, de brandir son vade-mecum du petit fonctionnaire en pleine maîtrise des règles de la laïcité, des obligations de neutralité, des outils de lutte contre les inégalités et les discriminations, du cadre réglementaire de son métier et des acteurs hiérarchiques du système éducatif. De quoi, en somme, soulager le ministère de tutelle de tous ses cauchemars, hantises et obsessions.
« Ils ont bien fait de prendre le Capitole ! » : comment réagissez-vous ?
La lecture des rapports de jury de l’an dernier est un régal. Il est admirable de voir comment les collègues en charge de cette épreuve s’évertuent à lui donner du sens, à minimiser son aspect de contrôle social et à valoriser son aspect professionnel. Chaque Capes rivalise ainsi pour imaginer des situations de nature à satisfaire le ministère et, par le même temps, à évaluer sérieusement un candidat appelé à enseigner une matière.
Ainsi, en anglais, le jury propose le cas d’un élève qui, lors d’un cours sur Trump et les Qanon (complotistes d’extrême droite), affirme haut et fort : « Ils ont bien fait de prendre le Capitole, les élections ont été truquées. » Comment réagissez-vous ?
Beau débat en perspective dans la classe ! Mais, avant toute chose, y a-t-il un élève capable de prononcer cette phrase en anglais ?
En maths, les collègues cherchent désespérément des chiffres pour coller un peu à leur matière. Par exemple : « Au conseil de classe, un parent d’élève vous fait remarquer qu’en maths la moyenne de la classe est de 5 points inférieure aux moyennes des autres profs de maths de l’établissement. Justifier.»
En histoire, dans un cours sur le génocide arménien, un élève vous fait remarquer que le point de vue turc est absent des documents fournis en classe. Que lui répondez-vous ? En lettres, une sortie théâtre déplaît à un parent qui refuse d’y envoyer son enfant. En philo, un élève demande à son prof d’exposer ses propres idées politiques avant de traiter le thème de la politique. Ainsi se succèdent les sujets : une litanie sans fin de contestations, remises en question et autres interpellations qui, à n’en pas douter, donneront fortement envie aux candidats d’embrasser la carrière.
À dire vrai, les candidats aux « petits » capes n’intéressent guère le ministère. Celui-ci entend surtout encadrer les disciplines à risques, comme les lettres, la philo ou l’histoire, qui peuvent traiter de sujets sensibles. Sans cesse, les enseignants, eux-mêmes contrôlés, sont invités à assurer une forme de contrôle « moral » sur leurs élèves, ils sont supposés modérer les tensions de toutes sortes, et apporter une éducation civique tout autant que des savoirs disciplinaires.
Quelle projection dans son futur métier ?
En revanche, les mises en situation délicates ne concernent jamais l’enseignant face à son établissement ou sa hiérarchie. Il y aurait pourtant des sujets bien dignes de réflexion et de « projection dans son futur métier ». Quelques suggestions :
- Vous rencontrez des difficultés avec une classe. Vous adressez un courrier à votre inspecteur régional. Votre lettre reste sans réponse ;
- Votre chef d’établissement vous demande de limiter le pourcentage d’élèves en difficulté dans votre classe afin de ne pas pénaliser votre lycée ;
- Vous proposez une exposition au CDI sur le peuple et la démocratie (textes de Rousseau, Hugo, Michelet, Valles). Peut-on vous la refuser au motif que vous êtes syndiqué ?
- Le chef d’établissement vous demande de reprendre dans votre classe un élève ingérable ;
- Vous avez assuré le remplacement d’un collègue et vous n’êtes pas payé des heures effectuées ;
- Des élèves vous signalent leur intention de participer à une manifestation : est-il de votre devoir de les avertir des intimidations et autres pressions des forces de l’ordre sur les jeunes ?
Ceci n’est pas que rébellion vis-à-vis de l’esprit de cette épreuve de mise en situation professionnelle, mais formulation d’une vraie inquiétude concernant le contenu de ce concours. Les rapports mettent néanmoins en évidence le travail des membres de jurys qui essaient tous, vaille que vaille, d’en sauver la crédibilité. En témoignent, par exemple, ces collègues de philosophie qui n’hésitent pas à mettre systématiquement en regard d’une attente ministérielle la pensée d’un philosophe, Hegel, Kant, ou Nietzsche, pour rappeler les exigences prioritaires, avec subtilité.
Enfin, devenu discipline autonome et obligatoire depuis 2015, l’enseignement moral et civique (EMC) n’en finit pas de tisser sa toile. Ses 30 minutes hebdomadaires, initialement assurées par les professeurs d’histoire, seront désormais potentiellement prolongées par tous les enseignants dans toutes les disciplines, autant de fois que l’exigeront le rappel à l’éthique et la citoyenneté.
P. C.
Retrouvez tous les rapports de jury sur le site : www.devenirenseignant.gouv.fr
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