"Love & Mercy", de Bill Pohlad, la véritable histoire de Brian Wilson des Beach Boys
Love & Mercy, le premier film en 2015 du producteur Bill Pohlad (The Tree of Life) raconte, entre autres péripéties de la vie de Brian Wilson, l’enregistrement avec son groupe The Beach Boys (qui compte également ses deux frères Carl et Dennis, leur cousin Mike Love et leur ami d’enfance Al Jardine) de ce qui est considéré comme leur album majeur, Pet Sounds, sorti en mai 1966 (Pet Sounds, « Sons domestiques » – comme on dit « animaux domestiques »).
Le réalisateur fait un sort particulier à la chanson Good Vibrations dont la mise en boîte pour le moins compliquée se déroula en bonne part dans les studios californiens EastWest où il a pu tourner à son tour sa relation personnelle des séances légendaires qui allaient donner naissance à ce que l’on a parfois qualifié de « symphonie de poche ».
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Célébration d’un cinquantenaire :
l’enregistrement de « Good Vibrations »
L’enregistrement de la partie strictement instrumentale de Good Vibrations, que Wilson confie une fois n’est pas coutume à des musiciens de studio, commença le 17 février : logiquement le morceau aurait dû figurer dans l’album en cours, mais contre toute attente Brian Wilson décida de ne pas l’inclure dans Pet Sounds, et c’est seulement le 21 septembre qu’il mettra un point final au mixage de la chanson qui sort en single le 10 octobre.
C’est la première fois que le groupe entier est cantonné au chant, la partie principale étant confiée au cousin Mike Love – qui est de son côté en total désaccord avec la nouvelle ligne musicale des Beach Boys, jusque là efficace machine à tubes pour vacanciers surfant sous le soleil éternel de la Californie. « God Only Knows », le sommet de Pet Sounds, sera presque « expédiée » par comparaison entre le 10 mars et le 11 avril – un mois seulement pour produire un morceau qui passe néanmoins aux yeux de Paul McCartney lui-même pour « la plus belle chanson d’amour jamais écrite ».
C’est Carl Wilson, le plus jeune frère de Brian, qui assure le lead vocal – les chœurs étant assurés par les seuls Bruce Johnston (autre membre, officieux, du groupe) et Brian Wilson lui-même.
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Une mise en scène du processus de création
Mais revenons au point de départ de ce film envoûtant qu’est Love & Mercy, tant le processus de création y est magistralement mis en scène. Les Beach Boys ne sont plus ici seulement les chanteurs talentueux de béats tubes bubblegum (Barbara Ann, I Get Around, Surfin’USA), mais bien le groupe qui porta à un sommet d’interprétation l’écriture du créateur des albums majeurs que sont Pet Sounds mais aussi Surf´s Up (1971) ou Holland (1972). Créateur fabuleux, certes, mais malade, et tombé sous la coupe d’un psychiatre et gourou au moins aussi fou que lui.
C’est vraiment l’aspect le plus brillant du film : à aucun moment la maladie n’est niée, elle est vue au contraire comme l’une des « conditions » du processus créatif dans l’esprit de Brian Wilson. Dès 1963, c’est dit par le personnage lui même, il a « entendu des voix dans sa tête« . Or, ces voix, il nous les a fait entendre – de la plus merveilleuse façon.
À l’occasion du cinquantième anniversaire de la publication de Pet Sounds, on se rappellera donc opportunément l’existence de Love & Mercy, aisément accessible en DVD, tant il est rare qu’un film américain du genre si moralisateur des biopics aborde un tel sujet d’une manière aussi adulte : l’enfance meurtrie du chanteur, le rôle du LSD, la rencontre d’un parolier aussi psychédélique et talentueux que Van Dyke Parks – même si ces éléments ne sont qu’esquissés, ils sont bien présents et participent sans détour à la conception d’un film nous donnant à voir en deux petites heures comment s’épanouit, contre vents et marées, la création dans un cerveau manifestement « dérangé » (c’est la partie de l’acteur Paul Dano, qui habite littéralement le film).
On signalera un magistral travail sur la bande-son, et pas seulement pour les parties strictement musicales.
L’autre partie du film est plus classique, presque « rangée », qui nous montre le héros à la fin des années 1980, à un moment de sa vie où la musique est en quelque sorte « oubliée » : John Cusack, dont la ressemblance avec le vrai Brian Wilson n’est plus aussi évidente, y reprend le rôle alors que le chanteur a presque vingt-cinq ans de plus et se trouve sous l’emprise de son psychiatre gourou – à moins que ce ne soit l’inverse
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« Heroes and villains »
Encore le titre d’un étonnant album. Il y a des héros, certes, mais aussi des « vilains », oui, de viles personnes mues par le goût du pouvoir et de l’argent, et peut-être même par la bonne foi – ce qui serait plus terrible encore. Syndrome de Stockholm caractéristique chez Brian Wilson détecté par une vendeuse de voitures (interprétée par Elisabeth Banks) qui va lui redonner de l’amour et ce qu’il lui faudra de confiance pour s’échapper.
La fin de cet autre volet du film verra aboutir – comme mené à son terme en quelque sorte – le processus de rédemption (de renaissance serait-on tenté de dire) si cher au cinéma américain – mais c’est peut-être là aussi que se niche la trouvaille géniale du film : Paul Dano incarne totalement le « vrai » Brian Wilson, à un point de ressemblance qui rend l’identification troublante.
Cusack donne quant à lui à voir ce qu’est devenu Brian Wilson : un homme qui ne se ressemble plus. Le film, dans son intelligente construction narrative, entremêlée, rassemble les deux – l’homme qu’il était et l’homme qu’il n’est plus. C’est la vie qui gagne, mais à aucun moment, sinon peut-être dans le générique qui n’embellit rien cependant, il n’est question d’un happy end.
« Amour et bonté », « Amour et compassion »…
Voilà bien la traduction que l’on pourrait donner du titre du film. De la pitié : c’est bien quand même au finale ce qu’inspire Brian Wilson, un sentiment de commisération assez trouble auquel se mêle ce que l’on pourrait appeler de la sympathie. « God only knows what I’d be without you. »
On peut se passer de connaître cette chanson magnifique, et peut-être était-ce votre cas jusqu’à aujourd’hui – on peut aussi ne lui concéder pas plus d’existence qu’à une bulle de savon arrachée au souffle d’un enfant innocent et trop bien nourri.
Interrogeant à sa manière très subtile le processus de création, et aussi comment le dit processus se trouve « empêché » au point de se tarir, le personnage du film de Bill Pohlad n’en pose pas moins dans sa double incarnation ces deux questions : le monde serait-il pire encore si Brian Wilson n’avait pas travaillé à en perdre la raison sur ses joyaux pop ? Et qu’en serait-il si tous les Brian Wilson de la terre un jour n’y trouvaient plus leur place ? Dieu seul le sait.
Robert Briatte
- « Love & Mercy » (2015), un DVD ARP. « Pet Sounds » (1966), un CD Capitol Records (incl. « God Only Knows »). « Smiley Smile » (1967), un CD Capitol Records (incl. « Good Vibrations »).
- The Beach Boys, « Good Vibrations » (sessions studio & version single : on pardonnera sans peine à nos plagistes leur air emprunté sur ces vidéos en play-back où ils miment une musique qu’ils savent impossible à reproduire sur scène) :
- « God Only Knows »
- « Good Vibrations ».
- John Cale, « Mr Wilson », chanson-hommage par l’un des créateurs du Velvet Underground sur l’album Slow Dazzle (1975).