Martin Scorsese à la Cinémathèque française
Passion
Un grand artiste ouvre de nombreuses portes, les chemins qu’il emprunte conduisent sur d’autres chemins. Avec lui, on n’en finit pas de découvrir, d’apprendre, de s’émouvoir.
Et tel est le cas avec Martin Scorsese. Son intelligence est indissociable de son immense culture cinématographique et musicale. C’est à la fois un classique, ancré dans la tradition américaine, et un moderne. Son œuvre tient à une vision du monde née dans l’enfance. Le terme de passion est à donc à entendre dans sa polysémie.
L’exposition qui commence à Paris, après avoir été présentée à Berlin et avant de partir pour Melbourne, illustre ces passions.
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L’empreinte omniprésente du christianisme
Partons donc de la première salle, celle qui introduit l’exposition : des écrans projettent des scènes de films : Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ. Une même figure revient, celle de la crucifixion.
Né dans une famille italo-américaine du Lower East Side, « Marty » a longtemps hésité entre le séminaire et la carrière artistique. S’il a choisi la seconde, l’empreinte du christianisme est partout. Ses héros connaissent l’ascension et la chute, à l’instar de Jake La Motta dans Raging Bull, ou de « Ace » Rothstein dans Casino.
La religion est faite de douleur, de rédemption souvent impossible, comme on le voit dans le cauchemardesque À tombeau ouvert, avec Nicolas Cage. La mort en forme de martyre de Nicki Santoro dans Casino en est une autre illustration.
Mais ce n’est pas la seule dimension de l’œuvre, et l’exposition déploie des thématiques qui traversent tous les films. Ainsi de la famille, de la fratrie, des vrais et faux frères…
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La famille de Scorsese
La salle consacrée à la famille Scorsese donne de nombreuses clés. Le jeune Marty est fragile. L’asthme l’empêche de faire du sport, de sortir comme il le voudrait. Il bâtit son monde. Son père écoute du jazz, de la musique populaire. Marty écoute cette musique, regarde la télévision, les films en particulier, et dessine.
Très tôt il sait ce que ce sera sa vie. Il fabrique des story-boards, conçoit même une affiche de péplum rassemblant les plus grands noms d’Hollywood. Il est réalisateur-producteur, comme Howard Hawks, l’un de ses modèles dont il reparlera plus tard dans ses si beaux Voyages à travers le cinéma américain et italien (Arte éditions).
Sa connaissance du cinéma est encyclopédique. Elle traverse les frontières. Il doit ses premières émotions dans une salle obscure à De Sica et Rossellini. Le quartier est un microcosme. Il est ce lieu dont tout part. Le narrateur qui raconte en voix off dans Les Affranchis est aussi un enfant de quartier qui observe, écoute avant de débuter. Mais, au contraire du cinéaste, qui ne se mêlera jamais au gang, il fait carrière parmi des truands à l’allure de pères de famille, pizzaioli ou tenanciers de bars.
Un extrait de ce film montre aussi ces affranchis à table, chez la mère du cinéaste, qui n’hésite pas à lui offrir de petits rôles. Elle y est pétillante.
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La relation entre frères, et entre hommes et femmes
Et on rencontre donc les frères. Ceux du même sang, comme Joe Pesci dans Raging Bull, ceux que le héros a connus enfant et qui trahissent, ou qu’il trahit. Dans Casino, le rapport entre Rothstein incarné par De Niro et Santoro-Pesci est le moteur de l’intrigue. Tout aurait dû leur réussir. L’arrivée d’une femme et l’hybris de Santoro détruisent tout, à commencer par ce qui les unit depuis toujours.
L’exposition décline cette relation entre frères, entre hommes, mais aussi entre l’homme et la femme. Il semble que l’amour soit impossible, voué à l’échec. La passion amoureuse, Scorsese l’a admirée dans les films de Truffaut, chez qui il trouve une forte inspiration. Ne serait-ce que sur le plan de la narration, dans l’usage, par exemple, de la voix off.
Dans l’introduction au catalogue accompagnant l’exposition, Serge Toubiana montre bien quels liens existent entre ce qui est dit et ce qui se passe sur l’écran : la vitesse des images et celle des mots n’est pas la même. Et la voix off, pour l’enfant de cinéma qu’est Scorsese, c’est aussi celle utilisée par Wilder dans Boulevard du crépuscule…
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Les méthodes de travail de Scorsese
La passion du cinéaste passe aussi par ses méthodes de travail. Les très nombreux documents présentés à la Cinémathèque montrent un homme méticuleux, précis, voire maniaque. Rien ne lui échappe, du story-board au montage. La musique joue un rôle essentiel. Elle guide les images, donne le rythme, influe sur le sens. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’écouter Les Affranchis et Casino, de contempler le générique de Raging Bull avec la musique de Mascagni : du blues à l’opéra, la musique imprègne la pellicule.
Ce goût pour la musique, il est plus éclatant encore dans les documentaires ou films musicaux. Scorsese a participé au tournage de Woodstock, a filmé The Band dans The Last Waltz, les Rolling Stones dans Shine A Light, et qui aime le rock et son histoire ne manquera pas son beau documentaire sur Dylan, No Direction Home, et sur George Harrison, le moins visible des Beatles. Là aussi, l’émotion n’est pas seule en jeu : c’est l’époque qui transparaît.
On ne saurait en effet réduire Scorsese à New York, aux gangsters et à leur violence. Laquelle, d’ailleurs, prend sens comme prend sens celle des professionnels. Les scènes ultra-violentes ne sont jamais gratuites. De même qu’un boucher abattant des animaux ou un maçon montant un mur, ils exercent un métier. Le réalisateur s’en explique très bien.
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Une histoire des États-Unis
Mais revenons à l’Histoire, celle de son pays, en particulier. De Gangs of New York, épopée située au XIXe siècle, à Aviator ou au Loup de Wall Street, il met en scène les États-Unis, partant du détail, démontant des mécanismes, analysant des flux.
Ainsi Aviator, sorte de biopic sur Howard Hughes, montre un conquérant fasciné par l’espace avant de l’être par le cinéma. Certaines séquences de Casino, sur les flux d’argent entre le lieu où il se collecte et des bourgades ordinaires du Middle West, sont des morceaux d’anthologie.
Sans être à proprement parler un pédagogue, Scorsese est un maître qui sait diffuser son savoir. Voir ses films, visiter cette exposition, est un bonheur.
Norbert Czarny
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• Exposition Martin Scorsese à la Cinémathèque française du 14 octobre 2015 au 14 février 2016. Projections jusqu’au 30 novembre.
• Catalogue en co-édition la Cinémathèque française/ Silvana éditoriale, 2015, 216 p.
• Vidéo : Scorsese par Scorsese, une leçon de cinéma animée par Serge Toubiana et Costa-Gavras.