Michelangelo Antonioni, un cinéaste toujours contemporain
« Antonioni, aux origines du pop » : tel est le titre que ses commissaires ont donné à l’exposition qui se tient à Paris jusqu’à la mi-juillet. Consacrée au cinéaste Michelangelo Antonioni, elle donne à découvrir un univers varié, qui couvre bien sûr le cinéma, mais aussi les arts plastiques, la musique et l’architecture.
Né à Ferrare en 1912, le cinéaste est un fils de cette ville située non loin du Pô, conçue par des artistes de la Renaissance, que Chirico aurait pu peindre. Cette ville discrète et élégante, rêvée, transfigurée même, par son ami d’enfance Giorgio Bassani qui résumait en quatre mots la personnalité du jeune Michelangelo : « forme, style, rigueur, silence ».
Ces termes sont comme un programme que l’auteur du Cri ou de La Nuit a rempli tout au long de son existence. L’exposition comme le catalogue en offrent une bonne illustration.
Antonioni, entre débats et polémiques
Une vaste salle rassemble les extraits de films, les photos et affiches, les lettres, les pages de scénario, les coupures de presse, et quelques documents audiovisuels précieux, dont un dans lequel il explique pour Cinéastes de notre temps comment il a tourné la dernière séquence de Profession reporter.
Huit espaces aident à comprendre comment sa trajectoire s’est faite. Le documentariste qui filme Les Gens du Pô est encore proche de Visconti qui tourne Les Amants diaboliques. Il n’est pas loin d’un certains néo-réalisme, qui n’est toutefois pas celui de De Sica. Il n’aime pas Le Voleur de bicyclette, se sent plus proche de Rossellini.
Arrivé à Rome, il rencontre sa première muse, Lucia Bosé, avec qui il tourne Chronique d’un amour. Ses films, influencés par Visconti, sont marqués par le contraste du noir et blanc, qui traduit la critique cruelle d’une nouvelle bourgeoisie naissante. Elle atteindra son sommet dans la trilogie qui le rendra célèbre : L’Avventura, La Nuit et l’Éclipse. Le noir et blanc laisse place au gris de l’acier, du béton et du verre.
L’art d’Antonioni suscite débats et polémiques. Il est suivi par une certaine critique de gauche, il intéresse les écrivains du Nouveau Roman mais L’Avventura est hué à Cannes. On lira à ce propos un très bel article de Françoise Sagan, sensible et intelligent, qui rend justice au metteur en scène. Cette période est aussi celle du couple qu’il forme avec sa seconde muse, Monica Vitti. Ils incarnent une époque, à jamais.
Un « artiste expérimental hanté par le futur »
Antonioni est en Italie même un artiste singulier. Si, comme l’écrit Alain Bergala, Rossellini incarne l’après-guerre, lui la représente. Il arrive « en retard ». Et en même temps, c’est un perpétuel contemporain au sens où il n’est pas sous l’emprise du passé, comme ont pu l’être à divers égards, Fellini, Visconti ou Pasolini. Il ne réalise aucun film en costume et, comme l’indique Serge Toubiana en ouverture au catalogue, c’est un « artiste expérimental hanté par le futur ».
C’est bien sûr perceptible dans L’Avventura, dont les apparentes digressions sur une île éolienne disent le malaise, la difficulté à communiquer, dans un monde minéral, comme en voie de pétrification. Ce malaise, on le retrouve dans La nuit, dans Le Désert rouge, où l’état dépressif de Monica Vitti semble se refléter dans le décor d’un port marqué par la pollution, presque à l’abandon. Les êtres sont seuls, enfermés, que ce soit sur une île ou dans le désert qui sert de cadre à Zabriskie Point ou Profession reporter. Le silence qu’évoquait Bassani est là, omniprésent.
Et le goût pour la forme qui n’est pas réductible au formalisme. Les récits d’Antonioni n’ont rien de gratuit. Beaucoup partent d’un détail insignifiant, apparemment anodin, qui soudain grossit, révèle une vérité ou met au jour une réalité qu’on aurait préféré ignorer. Le cas le plus flagrant est celui de Blow-Up, premier film qu’il tourne hors d’Italie, avant Zabriskie Point, La Chine et Profession reporter. Une photo développée change tout.
Ce film exercera une influence majeure sur le cinéma mondial, et on verra dans l’exposition comment des vidéastes d’aujourd’hui s’en empare, après d’autres cinéastes asiatiques, ou américains comme Brian de Palma avec son film Blow-Out, hommage déclaré au maître italien.
Antonioni et la peinture
Le détail, c’est aussi la peinture, si importante pour Antonioni : « Je m’intéresse à la dynamique de la couleur, affirme le réalisateur au milieu des années 1960. C’est pour cela que j’aime tant Pollock. Ses tableaux ont un rythme extraordinaire. J’ai toujours ressenti le besoin d’utiliser la couleur de manière fonctionnelle. »
On trouvera le propos dans un article du catalogue, signé de Barbara Guidi. L’auteur revient sur la place éminente prise par cet art dans l’œuvre et la vie d’Antonioni. On y apprend qu’il possédait une immense toile de Bacon, et un tableau de Balla, futuriste italien que l’on retrouve dans Identification d’une femme.
Mais l’un des peintres qu’il admirait le plus était sans doute Rothko, qu’il avait rencontré à New York :
« Chaque fois dans ces tableaux qui semblent faits de rien, ou plutôt seulement de couleurs, je découvre quelque chose de nouveau, je découvre tout ce qu’il y a derrière la couleur, j’arrive à lui donner du sens, de l’intensité dramatique, en somme, de la poésie. »
Un classicisme à la fois très clair et complexe
Comme beaucoup de cinéastes modernes, audacieux ou inventifs, Antonioni a eu du mal à monter certains de ses projets. Et la maladie qui, à la fin de sa vie, le handicapait, rend plus touchants encore les hommages de ses pairs leur soutien : Schlöndorff lui écrit combien il est jaloux de Identification d’une femme, Kurosawa lui adresse un superbe dessin, Scorsese ou Fellini lui disent leur admiration,
Wim Wenders tourne avec lui Par-delà les nuages.
On lira ces lettres à la Cinémathèque française, et on se penchera sur une lettre de Roland Barthes s’interrogeant sur le classicisme d’Antonioni, « très très clair, très très complexe ».
Norbert Czarny
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• « Antonioni, aux origines du pop », exposition à la Cinémathèque française, jusqu’au 19 juillet 2015.
• Catalogue sous la direction de Dominique Païni, co-édition Flammarion Cinémathèque française, 170 p.
• Exposition virtuelle Michelangelo Antonioni.
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