Monsieur Apothéoz, une BD pour questionner les enjeux de l’écriture de soi – L'École des Lettres – Revue pédagogique, littéraire et culturelle

Lauréate du prix des Lycées du rectorat de Poitiers 2024 au dernier festival de la bande dessinée d’Angoulême, Monsieur Apothéoz, la BD de Julien Frey et Dawid, est en parfaite adéquation avec les attentes du programme de seconde professionnelle.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Première collaboration entre Dawid, dessinateur de Supers !¹, et Julien Frey, scénariste de Fatty, le premier roi d’Hollywood², Monsieur Apothéoz a remporté le prix des Lycées du rectorat de Poitiers 2024, lors de la 51^e édition du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême³. Ses premières pages frappent d’emblée par l’utilisation de la couleur sépia. « Je m’appelle Apothéoz », se présente laconiquement le narrateur-personnage au nom le plus antiphrastique qui soit. Théo a trente ans, vit de petits boulots, loge encore chez son père alcoolique et ne parvient pas à se déclarer à Camille dont il est amoureux depuis l’enfance : le bilan est tout sauf explosif. Mais sa rencontre fortuite avec un personnage tout aussi mal nommé, Antoine Pépin, écrivain célèbre, mais seulement comme prête-nom car incapable d’écrire une ligne, va lui donner l’occasion de changer le cours des choses.

Un personnage maudit ?

Théo pense être issue d’une lignée maudite dont il serait le dernier rejeton : « J’étais frappé par la malédiction / La malédiction qui s’était abattue sur la famille Apothéoz […] / Malchance, guigne, poisse » (p. 10). Il faut dire que l’histoire familiale ne s’apparente qu’à une suite de revers fâcheux comme le résume cruellement la planche page 11 :

son arrière-grand-père subit par erreur un acte de vengeance ;
son grand-père, « devenu instituteur », se laisse aller à un indélicat rôt alors qu’il est « convié à un débat télévisé sur l’enseignement » ;
son père, pâtissier, étouffe le maire du village en lui faisant goûter sa dernière création.

Puisque dans la famille Apothéoz, l’ambition reste funeste, Théo accepte tacitement l’amère leçon de l’expression populaire prise au sens propre : qui ne tente rien n’a rien. Sa tragédie familiale rappellerait celle de la famille des Atrides : Agamemnon, Électre, Oreste… Mais l’originalité de Monsieur Apothéoz tient à sa capacité à jouer sur des registres contradictoires en faisant se télescoper les situations plus dramatiques et un ton burlesque : « Apothéoz porte la poisse / Mieux vaut s’appeler Pépin, croyez-moi. / La théorie est intéressante. » (p. 35)

Une stimulante lecture cursive d’avant séquence

L’histoire de Théo a tout d’un récit de formation et présente l’avantage didactique d’ouvrir les axes de questionnement de l’objet d’étude « Devenir soi : écritures autobiographiques ».

Le jeune homme qui se raconte ne parvient pas à « accepter sa singularité et progresser dans l’estime de soi ». Ses doutes ne sont donc certainement pas étrangers à ceux de nombre d’élèves qui doivent « mieux appréhender qui ils sont ». Ce qui passe par une capacité à « se dire, s’expliquer, s’impliquer […] dans la société ».

Ainsi, avant d’aborder des œuvres littéraires plus complexes dans la séquence – comme La Promesse de l’aube, de Romain Gary, ou Mémoire de fille, d’Annie Ernaux –, Monsieur Apothéoz offre la possibilité d’explorer « les multiplicités, les diversités, les évolutions de la personnalité » d’un personnage attachant.

Découvert par les élèves de façon semi-autonome, l’itinéraire chaotique de Théo peut leur permettre de se saisir concrètement du questionnement à l’œuvre dans la séquence à venir : « comprendre que l’identité est à la fois une donnée et un projet, une exploration personnelle et une construction au contact des autres et de la vie ».

Une fois qu’ils auront lu Monsieur Apothéoz, ils seront en mesure de recouper les notions-clés mises en perspective dans la séquence. Il leur faudra valider ou invalider les différents items en justifiant leurs choix par une référence directe à une planche ou à une bulle :

–Connaissance de soi : sensibilité, émotions, intime ; soi-même ; forces/faiblesses ; estime de soi ; auteur/narrateur…

–Image(s) de soi : construction de l’identité ; posture, projets (de vie, professionnels…), représentations, aspirations, idéaux…

–Découverte de l’autre : soi et les autres ; altérité/diversité, respect de l’autre ; privé/public ; individu/groupe ; personne/personnage ; héros/antihéros…

Exemple :

« Antihéros »

Validation+

Bulle (10) : « Tout ce que nous entreprenions se terminait par une magnifique catastrophe ».

Monsieur Apothéoz est album épatant tant il déconcerte par des situations complètement inattendues comme la mort du père par arrêt cardiaque, que son fils choisit de conserver dans un congélateur, sans penser au fait que ce dernier doit être dégivré !

La découverte de son illustrateur gagnera aussi à passer par le visionnage de ses dessins de presse pour La Nouvelle République⁴. Gageons qu’ils ne devraient pas moins séduire élèves et professeurs que cette BD primée à juste titre !

A. S.

Ressources

Les douze premières pages de la bande dessinée Monsieur Apothéoz, de Julien Frey et Dawid, Glénat, 2024 : https://www.glenat.com/hors-collection-vents-douest/monsieur-apotheoz-9782749309606

Notes

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

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