Collège 2016 – Nouveaux programmes, nouveaux liens inter-degrés ?
Le projet de nouveaux programmes, comme l’a bien montré ici Pascal Caglar, laisse en suspens la question du choix des œuvres à étudier, tout particulièrement dans le cadre du nouveau cycle 3.
À ce titre, les professeurs de lettres sont en droit de s’interroger sur l’équilibre à tenir en classe de sixième entre littérature patrimoniale et littérature de jeunesse. Question-nement qui constitue un serpent de mer programmatique réapparaissant à chaque réfection. Conservons ainsi en mémoire les programmes de collège de 2008 où l’approche en classe de la littérature de jeunesse avait été sérieusement entravée.
La connexion entre CM2 et 6e au sein du cycle 3 rénové est censée renforcer le lien inter-degrés trop longtemps réduit à un vœu pieux. De fait, le choix des œuvres à programmer doit désormais ne pas être simplement envisagé à l’échelle de la classe de sixième, mais bien en lien avec les trois années précédentes du cycle, et ce avec une rigueur accrue.
La littérature de jeunesse, à nouveau centrale dans le débat
Or, que constate-t-on à ce niveau ? Sans parler d’une bipartition radicale littérature de jeunesse à l’école élémentaire / littérature patrimoniale au collège, on serait tenté de dire que la réserve est plus marquée par rapport à la littérature de jeunesse une fois le grand saut effectué vers le second degré. Il n’est ainsi pas si courant, par exemple, d’étudier en classe de sixième le théâtre de la dramaturge québécoise Suzanne Lebeau, dont la pièce L’Ogrelet (Théâtrales) recouperait pourtant parfaitement l’axe « contes et récits merveilleux », tout comme bien des œuvres de la collection « Théâtre » de l’école des loisirs (voir notamment les pièces d’Eugène Durif, Nathalie Papin, Olivier Py, Philippe Dorin, Catherine Anne…).
Par méconnaissance, par principe ou par a priori, tout un pan de la littérature ultra-contemporaine demeure ainsi relativement laissé pour compte : ce qui est évidemment très dommageable pour des élèves encore rétifs à s’investir dans l’« immense matière littéraire » (Julien Gracq). L’idée est par conséquent de trouver le juste équilibre entre les textes proposés dans le cadre des séquences, qu’ils appartiennent au champ littéraire (littérature patrimoniale vs jeunesse) ou relèvent d’énoncés non littéraires (textes informatifs issus de dictionnaires ou d’encyclopédies, articles de journaux…).
En effet, à l’école élémentaire, il va quasiment de soi que l’exclusivité littéraire des énoncés proposés n’a pas raison d’être. On mesure, par là même, toute la difficulté de mise en place des nouveaux programmes qui tendent, au moins incidemment, à imposer l’idée que la découverte des différents types d’écrits devient le nouvel enjeu de l’intégration dans les classes de français au collège.
« La Bibliothécaire », de Gudule, à titre exemplaire
En ce qui concerne spécifiquement la littérature de jeunesse, il s’agira sans doute de promouvoir une véritable interaction littérature de jeunesse / littérature patrimoniale. À ce sujet, il importe de valoriser des œuvres de jeunesse qui jusque-là naviguent entre deux eaux ; des œuvres apparemment trop difficiles pour le premier degré et a priori trop faciles pour le second. Pour mener à bien cette requalification raisonnée de la littérature de jeunesse au collège, une nouvelle collaboration des différents partenaires demeure bien évidemment décisive (professeur de lettres, professeur des écoles, professeur documentaliste, bibliothécaire).
Le décès récent d’Anne Liger-Belair, alias Gudule sous son nom de plume, le 21 mai 2015, ne peut ainsi que rappeler symboliquement l’apport décisif de son roman, La Bibliothécaire (1995) : œuvre idéale pour introduire une année de sixième et faire le lien entre littérature de jeunesse et littérature patrimoniale.
Rappelons-en le synopsis. Guillaume, un tout jeune collégien, s’ennuie en cours de français, convaincu de sa nullité en lecture et en orthographe. Tous les soirs, il observe à travers sa fenêtre sa voisine : une vielle bibliothécaire rivée à sa table d’écriture toute la nuit. Or, le jeune héros remarque qu’à chaque fois qu’elle éteint la lumière, une jeune fille mystérieuse portant des escarpins démodés sort de l’immeuble qu’il guette. À force d’assister à ce spectacle, un soir, il décide de suivre la jeune fille. Sa filature l’emmène à la bibliothèque. La jeune fille lui confie qu’elle cherche un grimoire magique seul susceptible de lui permettre de recouvrer son talent d’écrivain mais ils sont surpris par le gardien. Retrouver le grimoire devient la quête des deux personnages en même temps que cette intrigue devient l’enjeu d’un vrai roman de formation.
Le grand intérêt de ce roman, qui a beaucoup influencé la structure narrative des récits de jeunesse publiés durant les années 2000, demeure d’établir un lien direct entre un premier niveau du récit qui raconte une histoire singulière et un deuxième niveau qui renvoie à des histoires antérieures : celles de Gavroche ou de Poil de Carotte par exemple.
Bibliothécaire de formation, Gudule rend ainsi hommage aux classiques qui ont nourri son imaginaire. Et par là même, elle donne la possibilité au professeur de lettres d’établir une passerelle entre la littérature de jeunesse lue par l’élève au premier degré de sa scolarité et des récits devenus des classiques constituant le socle de la littérature à destination de la jeunesse censé être consolidé au second degré.
Une nécessité : renforcer la liaison école/collège
À l’instar de La Bibliothécaire de Gudule, bien des œuvres dites de jeunesse trouveraient toute légitimité à intégrer des séquences de collège. Le dialogue entre les deux catégories d’œuvres ne doit cependant pas induire à une fausse conclusion. Si le rééquilibrage est souhaitable, il ne doit pas impliquer une baisse d’exigence culturelle.
Même si les programmes de cycle III – qui n’en sont d’ailleurs pas vraiment, au moins à l’heure actuelle – restent infiniment flous sur leur composition, il serait très regrettable de délester la classe de sixième de tout le patrimoine littéraire en optant trop massivement pour des textes moins résistants ou relevant d’autres enjeux que l’enjeu littéraire.
La séquence rénovée peut par conséquent devenir le lieu d’une exploration croisée permettant à tous les lecteurs de revenir aux textes et aux livres.
Sur le plan de la liaison inter-degrés, cela implique nécessairement de renforcer la liaison école/collège en adoptant une posture bienveillante vis-à-vis de l’autre ; celui qui désormais, qu’il soit professeur des écoles ou professeur de lettres travaille dans un seul et même cycle et dont chacun a forcément tout à apprendre.
Antony Soron
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• Nouveaux programmes de collège : où sont les œuvres ? par Pascal Caglar.
• Les vrais enjeux de la réforme du collège, par Pascal Caglar.
• Les listes d’œuvres actuellement recommandées :
– pour une première culture littéraire à l’école maternelle
– pour le cycle 2,
– pour le cycle 3,
– pour le collège.
• La littérature de jeunesse dans « l’École des lettres ».
• Les Classiques et Classiques abrégés dans « l’École des lettres ».
• La collection Théâtre de l’école des loisirs.
• L’espace Enseignants de l’école des loisirs.