Palmarès des lycées : pour de nouveaux indicateurs
Ne dites pas classement, dites indicateurs de résultats, ne dites pas bons et mauvais lycées, dites réalité complexe et relative, ne dites pas tyrannie des chiffres dites outils d’amélioration de l’efficacité de l’action.
Le ministère peut bien recourir à toutes les variantes d’euphémismes que notre langue permet, ce palmarès des lycées en forme d’indicateurs statistiques a chaque année un effet dévastateur, trompeur pour la plupart des parents, exaspérant pour la plupart des enseignants.
Plus que ces chiffres, donnés pourtant par le ministère comme des éléments de réflexion, c’est l’établissement et la publication de pareilles statistiques qui invite à s’interroger.
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Un classement réducteur, dérisoire et fantasmatique
Pourquoi se focaliser sur la réussite au bac au moment même où le nombre de bacheliers est en augmentation constante et l’obtention du bac de moins en moins un mérite rare ?
Ramener le « résultat » de l’action pédagogique d’un établissement à son taux de réussite au bac semble à la fois réducteur, dérisoire, et fantasmatique. Réducteur parce qu’éduquer c’est plus que bachoter, dérisoire parce que pour beaucoup la question n’est plus comment avoir son bac, mais que faire après son bac ?, fantasmatique parce que le public adore les classements, la mise en compétition et les simplifications qu’ils induisent (notamment sur les inégalités que ce type de résultats semble installer comme une fatalité).
On en vient à se demander si cette publication n’est pas une complaisance, une diversion, un détournement d’attention, un os à ronger, une vraie fausse question, alors même que les enjeux ne sont plus d’ordre quantitatif mais qualitatif : plutôt que de se demander combien d’élèves de seconde arrivent en terminale, on aimerait avoir des informations sur les conditions d’études, sur la qualité de l’enseignement, sur l’environnement et les projets de l’établissement…
Les critères d’appréciation d’un établissement vont bien au-delà de ses seuls résultats
Il suffit de se tourner vers les classements nationaux et internationaux des écoles de commerce ou de management pour voir que les critères d’appréciation d’un établissement vont bien au-delà de ses seuls résultats : ils prennent en compte le nombre de professeurs, le nombre de diplômes décernés, la taille des campus, les conventions signées, la satisfaction des élèves, l’accueil d’étudiants étrangers, le nombre de publications des enseignants-chercheurs, la reconnaissance par les entreprises et bien d’autres aspects qui intéressent la vie, les études et les débouchés dans et autour de ces écoles.
L’évaluation de la qualité est désormais primordiale : un certain nombre d’instituts évaluent la qualité des conditions de travail en entreprise (les entreprises où il fait bon travailler), la qualité de vie dans les régions (les villes où il fait bon vivre) et les labels de qualité se multiplient dans le monde de l’économie, du tourisme et de la consommation.
Il ne s’agit pas de copier ces classements foisonnants, toujours mouvants et jamais dénués d’arrière-pensées, mais la frilosité du ministère à dévoiler des chiffres autres que ceux relatifs au bac a quelque chose de suspect : pourquoi tant de timidité à publier des indicateurs sur les caractéristiques et la pédagogie propre à chaque établissement ?
La valeur ajoutée doit se chercher aussi du côté des conditions d’enseignement et de la qualité de vie
La valeur ajoutée mentionnée par les indicateurs (« différence entre les résultats obtenus et les résultats attendus ») est une bien petite fenêtre ouverte sur le travail des enseignants, comme si le déterminisme socioprofessionnel restait la vérité du système, la référence intangible de toute analyse. Ceux qui travaillent sur l’effet-établissement, l’effet-enseignant tout comme ceux qui ont le souci réel de la pédagogie savent qu’un établissement n’apporte pas qu’un résultat aux élèves qui le fréquentent, mais contribue à leur formation, à leur ouverture, à leur socialité, et que, de ce fait, la valeur ajoutée doit se chercher du côté des conditions d’enseignement et de la qualité de vie.
De quels équipements l’établissement bénéficie-t-il lui-même, en terme de salle ou de terrain de sport, en terme d’équipement informatique ou aménagement de CDI ? Quel éventail de langues et d’options est proposé ? A-t-on mis en place des activités extra scolaires, soutien, clubs, ateliers ? Quelles structures pour l’orientation et l’accompagnement post-bac ? Les équipes enseignantes sont-elles stables (taux de mutation et de remplacement), réalisent-elles des sorties et des voyages scolaires (notamment des échanges linguistiques), participent-elles à des projets ou concours académiques ou nationaux ?
Communiquer sur la qualité de l’enseignement, plutôt que de publier des indicateurs de résultats, inutiles, et riches en effets pervers
Les rectorats et le ministère ont à leur disposition bien des chiffres qui rendent compte de l’action concrète des établissements en faveur des élèves accueillis. Plutôt que de publier des indicateurs de résultats, inutiles, et riches en effets pervers, il faudrait communiquer sur la qualité de l’enseignement, créer au besoin des labels en fonction des projets d’établissement et de l’offre propre à chacun d’eux : un label « ouverture internationale » supposerait des partenariats avec des lycées étrangers, un certain nombre d’échanges réguliers, des sections européennes, des laboratoires de langue, une offre large d’options linguistiques, un label « culture » s’appuierait par exemple, sur des partenariats avec des théâtres ou musées, un certain nombre d’intervention régulières, conférences et enseignement spécifique… Il s’agirait de faire valoir la diversité des établissements plus que leur classement, rendre visible leurs spécificités plus que leur concurrence.
Toute information sur les établissements est naturellement une bonne chose : si la réussite au bac est une préoccupation historique, l’évolution de l’enseignement, des missions de l’éducation appelle sans doute de nouveaux indicateurs qui ne réduisent pas la qualité d’un établissement à ses résultats mais valorisent ses conditions de travail et d’études.
Pascal Caglar
• Voir sur ce site le palmarès des lycées 2013.
Si on replace les indicateurs dans leur contexte initial (il y a 21 ans), ces derniers avaient pour but de mesurer l’évolution d’une année sur l’autre pour le MEME lycée et non comparer les lycées entre eux.
Aujourd’hui, ces indicateurs sont utilisés à l’envers avec tous les problèmes que l’on connaît.