Paul de Roux, "Au jour le jour V. Carnets, 2000-2005"
Baromètre de l’âme
« Le Sueur, ou la légèreté dans la couleur. – Mais qu’est-ce que la légèreté ? On l’éprouve, on ne la définit pas. Face aux définitions, la légèreté s’envole. »
Cette note écrite dans le cinquième carnet de Paul de Roux dit presque tout d’un poète secret et lumineux, simple et raffiné : la peinture classique vue et revue au Louvre, le goût de la couleur, la légèreté comme état d’esprit, comme on dirait des nuages qu’ils sont légers. À la fois de passage et présents pour donner sa teinte au ciel.
Un poète du quotidien
Les deux livres, qui viennent de paraître, auquel il convient d’ajouter le recueil de Guy Goffette, mettent en lumière un homme du sud, un poète du quotidien observé, contemplé, envisagé dans sa singularité : « Contemple une goutte d’eau, longtemps, et le monde s’agrandira », écrit le poète. Et d’une cabane de chantier, sur le boulevard Richard-Lenoir, aux oiseaux qui se retrouvent dans la cour de son immeuble, il agrandit le monde ; le sien comme le nôtre.
Cela ne va pas sans angoisse, le mot comme la sensation revient souvent dans ces pages : il souffre surtout de voir rétrécir ce monde qu’il aimerait agrandir :
« Autre cruauté du chagrin : il vous retranche du monde. Il distrait puissamment de tout ce qui vous entoure. Le cœur est trop serré pour faire accueil au tout-venant du monde. (Ainsi les bourgeons qui éclatent devant ma fenêtre, côté rue.) »
Il essaie de vivre, pris dans la difficulté à commencer, à surmonter les peurs. Lesquelles se traduisent souvent en ses nuits d’insomnie ou bien en des moments de solitude extrême, pas choisis ni voulus, comme en Bretagne :
« Épuisement, anxiété, chagrin aussi, malgré tout. Je n’ai pas vu les mailles se resserrer sur moi au cours de ce séjour si difficile à Hoëdic. Je sentais la pression des mailles, je n’ai pas vu qu’elles allaient m’enserrer à ce point. Désarroi. Accentué peut-être par le moment où se produit la crise : la mi-août. »
Aucun lieu ne semble pouvoir l’accueillir, le préserver de cette sensation qui l’oppresse.
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La nostalgie du sud
Paul de Roux vit avec la nostalgie du sud. Dans les premières pages, ce sud s’incarne, oh combien mal ! dans des plages grecques, sous la chaleur étouffante et dans un malaise qui reviendra au long de ces quelques années. Mais le sud est aussi le lieu de son enfance, le pays nîmois, puis le Vaucluse. Comme René Char, il longe la Sorgue, arpente les chemins de Provence, connaît ses forêts. C’est alors son « pays perdu ». Paris est à partir des années cinquante le lieu du travail et donc de la résidence, mais sa forêt, ses sentiers, il les trouve au Louvre. On ne compte pas les notes consacrées aux peintres du XVIIe siècle, mais aussi à Watteau, sur qui il écrit de beaux commentaires, mêlant l’analyse et la poésie.
Paul de Roux écrit parmi ses amis. Gilles Ortlieb, qui préface le livre est de ceux-là, mais aussi Pierre Pachet, Hédi Kaddour et Jacques Réda. Guy Goffette, aussi et surtout. Dans « Paul de Roux une bibliographie à la dérobée », qui clôt Un manteau de fortune, il évoque son ami à travers les titres de ses recueils, glissés en des vers pleins de délicatesse :
» Que reste-t-il au bout du couloir
où le poète a passé trop vite
comme un homme que la nuit poursuit ? »
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Un attachement aux êtres et aux lieux les plus simples
On laissera au lecteur le soin de découvrir la suite. Paul de Roux évoque le Capricorne et le Sancerre, deux bistrots où se réunissent ces amis se reconnaissant en une certaine poésie, pas si loin d’Henri Thomas et de Jean Follain, autrement dit dans la discrétion et un attachement aux êtres et lieux les plus simples, soudain dotés de beauté. Aucun n’est dupe du temps, des mœurs qui le façonnent et on s’amusera d’un salon littéraire auquel participe De Roux en compagnie de Paul Louis Rossi, qu’une dame prend pour le fils d’un célèbre chanteur.
Les poètes s’adressent aux enfants et aux raffinés, disait Max Jacob et ces catégories-là ne font pas masse : « Un artiste, un écrivain qui ne poursuit pas son œuvre pour cause d’insuccès donne implicitement raison au public. » Paul de Roux écrivait cette presque maxime en 2001 et il a poursuivi son œuvre restée assez secrète, réservée à un petit nombre. Il écrit jusqu’à la nuit, cette nuit de la maladie qu’un dernier poème (on en lira de nombreux dans ces carnets, comme des ébauches de recueils à venir) semble annoncer :
« C’est le moment du silence
de la faible lumière
de la petite lampe à mon chevet
et si j’allume la radio contiguë
à très faible amplitude
c’est une voix féminine qui s’élève
dans un air d’opéra inconnu. »
Norbert Czarny
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• Paul de Roux, « Au jour le jour V. Carnets 2000 2005 », Le bruit du temps, 224 p.
• « Entrevoir », suivi de « Le Front contre la vitre » et de « La Halte obscure », « Poésie », Gallimard.
• Guy Goffette Un manteau de fortune « Poésie », Gallimard.
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