Pédagogie de l'urgence : voyage au cœur d'un dispositif inédit

Plan du centre d'accueil d'Ivry
Plan du centre d’accueil d’Ivry © Julien Beller

Depuis près de deux ans, le flux des migrants a considérablement augmenté, et Paris, ville refuge d’une certaine partie d’entre eux, se doit de développer ses capacités d’accueil. En septembre 2016, Anne Hidalgo a annoncé la création de deux centres d’hébergements d’urgence à Paris.
Le premier a été installé il y a deux mois dans le nord de la capitale, et reçoit les hommes seuls. Sur une ancienne friche de la SNCF, le centre, d’une capacité de 400 personnes, peut accueillir 1 500 personnes par mois, car chaque homme y reste entre cinq et dix jours avant d’être orienté vers un hébergement plus pérenne.
Le second centre ouvrira ses portes dans quelques jours, à Ivry-sur-Seine. Sur un terrain appartenant à la Ville de Paris, le chantier bat son plein. La gestion du centre est confiée à Emmaüs solidarité, dont la première mission est de répondre à des questions simples, aux réponses quelquefois complexes : qui sera accueilli ? Pour combien de temps ? Pour quelle prise en charge ?

Un projet de scolarisation inédit
géré par les Casnav de Paris et de Créteil

Les principes sont fixés : le centre d’hébergement d’urgence accueillera des familles (c’est-à-dire des couples avec ou sans enfants, des femmes seules avec enfants, quelques mineurs isolés), réfugiées, ainsi que cinquante Roms issus des camps ivryens (la mairie a recensé une vingtaine de camps sur sa commune!). Elles resteront entre deux et six mois dans le centre, le temps que leur demande d’asile soit étudiée.
Pendant ce temps, ces familles seront hébergées, nourries, soignées, suivies socialement et les enfants scolarisés.
Pour la scolarisation, la mairie de Paris et Emmaüs ont demandé à l’académie de Paris d’intervenir. Le centre académique pour la scolarisation des élèves allophones arrivants (Casnav) de Paris, avec le Casnav de Créteil, ont monté alors un projet inédit pour scolariser les enfants de réfugiés. Comme le terrain sur lequel se situe le centre, tout est à construire.

Une aventure pédagogique et humaine passionnante

D’après les estimations, environ 70 enfants ou adolescents seront présents dans le centre d’Ivry. Davantage de futurs élèves de primaire que de collégiens et de lycéens, car les familles migrent souvent avec de jeunes enfants, les plus âgés étant soit déjà partis par leur propre moyen, soit restés dans leur pays d’origine. Les élèves, vraisemblablement d’origine afghane, érythréenne, éthiopienne ou soudanaise, seront non francophones. Pas de Syriens dans ce centre, tout simplement car la prise en charge, déterminée par les accords internationaux, est différente.
La première question a été la suivante : doit-on scolariser ces enfants dans le centre, ou bien dans les écoles voisines, à Ivry ou Vitry ? La réponse apportée reste provisoire et tient compte de l’urgence de la situation : d’une part, les flux des élèves étant ininterrompu durant toute l’année scolaire, il est difficile de concevoir qu’une école voie défiler quelques dizaines d’élèves, sans adapter les structures et les programmes ; d’autre part, les écoles d’Ivry ou Vitry ont des classes surchargées ou quelquefois des locaux exigus, et donc ne peuvent se permettre, sans des aménagements importants, d’ajouter d’autres élèves à leurs effectifs en cours d’année scolaire.
Par conséquent, la décision a été prise de scolariser les futurs élèves dans le centre même : les plans ont été adaptés, quatre classes ont été créées, quatre enseignants et un coordinateur recrutés. Des formateurs participent également très activement à la mise en place de cette structure originale.

Socialiser les enfants en France et les placer dans leur rôle d’élèves
dans un cadre bienveillant

Actuellement, quatre groupes sont prévus, en fonction des âges des élèves. Mais rien ne dit que la répartition se fera ainsi, la réalité pouvant s’avérer différente des prévisions. Tant de paramètres seront décisifs : l’âge, le passé scolaire (quelle scolarité a suivi chaque élève ?), la francophonie (seront-ils débutants en français ?), le temps passé dans le centre (sont-ils là pour quelques semaines ou une demi-année ?). Les emplois du temps sont déjà prévus.
De manière presque intuitive, deux niveaux de conceptions se sont mises en place, correspondant à deux types de concertations : en premier lieu, la collaboration entre toutes les instances participant à cette structure (Ville de Paris, rectorats de Paris et Créteil, Emmaüs, ville d’Ivry), puis avec les futurs intervenants dans le centre (enseignants et formateurs).
Lors de réunions avec le premier groupe, il s’est agi de prévoir l’infrastructure : espace, matériel, encadrement juridique ; avec le second groupe, conception des cours en fonction des profils des élèves.
Ainsi, ces élèves qui arriveront dans les prochaines semaines auront des cours de français, d’humanités (découverte de leur nouvel environnement, valeurs de la République française, histoire et géographie) et de sciences (mathématiques, sciences physiques, de la vie et de la Terre).
D’autres intervenants participeront à ce projet : en éducation physique et sportive, musique et arts visuels, ainsi que des associations de quartier.
Les objectifs principaux sont de socialiser les enfants en France, les placer dans leur rôle d’élève tout en instaurant un cadre bienveillant : c’est ainsi qu’ils pourront rentrer plus facilement dans les apprentissages, surtout s’ils n’ont pas été scolarisés antérieurement.

Un cadre stable construit sereinement

Aujourd’hui, tout se construit sereinement, c’est le paradoxe de cette pédagogie de l’urgence : l’action rapide contraste avec la réflexion didactique et pédagogique, qui doit mûrir et s’adapter constamment aux nouvelles données.

Le rôle de l’enseignant est d’abord de proposer un cadre stable pour ces élèves qui ne demandent que ça. Alors que l’enseignant et les encadrants sont eux-mêmes en train de construire leur rôle et leur enseignement.

Bien sûr, ce n’est pas la première fois que des cours sont organisés pour des réfugiés : certains d’entre eux sont des élèves d’Upe2a (structures pour les élèves non francophones) ; et à Calais, par exemple, des associations ont pris en charge la formation des mineurs ou majeurs non francophones. Mais cette fois-ci, la réponse institutionnelle et pédagogique change de braquet.

Une aventure à suivre… et de quoi s’occuper pendant cette nouvelle année…

Stéphane Paroux

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• « L’École des lettres » rendra compte de cette expérience tout au long de l’année 2017.

• Voir sur ce site les articles consacrés aux classes d’Upe2a.

Stéphane Paroux
Stéphane Paroux

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