"Peine perdue", d'Olivier Adam : un kaléidoscope

"Peine perdue", d'Olivier AdamOlivier Adam aime les balades mélancoliques qui tiennent en quelques minutes et disent un monde à travers un instant.
Il aime Bruce Springsteen proche « comme un type qui vous serre dans ses bras quand ça va mal et vous tape dans le dos avant de vous offrir une bière ».
Il aime les écrivains comme Fante, London, Bukowski, chantres d’une Amérique désenchantée, qui courent après un rêve sans le rattraper.
Ce n’est pas écrit de cette façon dans Peine perdue, son nouveau roman, mais cela se sent. Sa France ressemble aux États-Unis que chante le rocker du New Jersey.

 

Une intrigue dans le microcosme varois

Le romancier a quitté la Bretagne ou la banlieue parisienne pour l’Esterel, ses plages, ses calanques, ses massifs écrasés de soleil, mais aussi ses villes ceinturées de zones commerciales, de Marineland sans grâce, ses centres ville et ses lotissements aux odeurs de lauriers roses. La différence avec l’Essonne n’est pas flagrante et l’on retrouve pour partie l’univers du romancier tel qu’il le présentait dans Les Lisières, son précédent roman.
Cette fois-ci, cependant, pas de « je », pas d’identification possible avec l’auteur, mais vingt-trois personnages (dont un couple et un personnage collectif) autour d’Antoine, dont l’agression par quelques brutes au début du roman sert de fil conducteur, et clôt aussi le roman.
Antoine est footballeur amateur, brillant mais irrégulier. C’est un caractériel, toujours prompt à s’emporter, capable de l’éclair de génie, comme de la sortie de route la plus stupide. Là, il a frappé Florian, son adversaire direct sur le terrain, a été expulsé, et ne participera pas à la demi-finale de Coupe de France contre Nantes. Et puis on l’a agressé à coups de batte de baseball, le laissant pour mort. Quelqu’un l’a conduit à l’hôpital et, quand l’intrigue débute, il est dans le coma.

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Pauvreté, précarité, solitude, racisme, corruption, tout est là, à échelle réduite

Le roman est bâti sur le principe de La Ronde, de Schnitzler ou du film Usual Suspects : de chapitre en chapitre, l’entourage d’Antoine témoigne, raconte ou parle, mais aussi des proches des témoins ou des habitants du coin qui, d’une façon ou d’une autre, sont là, en cette saison, en ce lieu. D’un chapitre à l’autre, dans la succession ou le rappel lointain, une même histoire s’éclaire. On retrouve l’un des protagonistes, un indice de l’intrigue, une thématique déclinée. Les pères absents ou fermés, les enfants à la dérive, le temps qui défait, la maison silencieuse…
Et comme en écho un violent coup de mer bouleverse la région, provoque des inondations et destructions, des morts ou des disparitions, voire de soudaines réapparitions, comme celle de Léa, une jeune fille en rupture avec les siens.
Cette tempête, incarnée par la mer, « animal immense, peau mouvante et nerveuse » est, comme l’agression subie par Antoine, un révélateur : elle met au jour ce qui est caché, latent, en germe. Elle traduit la violence des éléments naturels comme celle des humains.
Le microcosme varois est la France d’aujourd’hui : pauvreté, précarité, solitude, racisme, corruption, tout est là, à échelle réduite. Un personnage central l’incarne : Perez. Il possède tout, du club de football au terrain de camping, des hôtels au terrain de golf, des politiciens locaux à certains policiers peu regardants. Il rêve d’avoir plus ; c’est difficile : entre Marseille et Nice, les potentats jouent à coups de milliards et leurs hommes de main sont autrement plus dégourdis que les siens.
L’agression d’Antoine est en effet l’œuvre de petits malfrats dont on croira longtemps, et Antoine avec les naïfs, qu’ils étaient des supporteurs du club adverse, celui pour lequel jouait Florian. Perez brouille les pistes.

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La générosité du romancier provoque l’adhésion des lecteurs

Et puis il y a les femmes, les enfants, le couple formé par Paul et Hélène, deux retraités venus de la région parisienne pour finir en beauté. Hélène est atteinte d’une grave maladie et Paul ne supporte pas l’idée de vivre sans elle. Tous deux souffrent sans leurs enfants devenus adultes : « La maison débordante de leur absence après ça qu’ils ne savent plus comment la remplir. »
Les pages consacrées à ces êtres, les plus fragiles, les plus démunis, parce que l’argent manque, qu’on n’a pas eu d’enfant comme Delphine, ou qu’on craint le départ de la sienne, comme Coralie, parce que la santé décline, ou l’énergie vitale, sont les plus belles du roman ; là se sent toute la générosité du romancier.
Cette générosité n’est pas absente des autres chapitres, au contraire. C’est justement cette qualité qui provoque l’adhésion des lecteurs. Olivier Adam est un romancier populaire, au meilleur sens du mot. Il écrit comme Springsteen chante, sans s’économiser, en « donnant tout » si l’on peut dire.
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 « Une vie de détails. De présence aux êtres et aux choses »

Ce roman est riche de tous ses personnages, de toutes les intrigues qui naissent et se développent autour de Sarah, Anouck ou Louise. Grindel, le policier honnête qui cherche à comprendre, est d’abord un homme qui souffre, séparé de celle qu’il aime, et de ses enfants, appelant Audrey puis raccrochant en larmes. C’est souvent autour de la séparation, du deuil ou de l’absence que l’on perçoit les protagonistes de ce roman.
Olivier Adam écrit à coups de phrases courtes, parfois de simples phrases nominales, comme des éclairs ou des éclats, comme des débuts de cris, rentrés, ou des sanglots qu’on empêche. Mais on retrouve aussi les phrases comme des touches de couleur, telles qu’il les appliquait sur sa toile dans Le Cœur régulier : « Une vie de détails. De présence aux êtres et aux choses. Une pierre. De la mousse. Des reflets sur l’eau vive. Un ciel changeant. Un oiseau. Une fleur. Un visage. Un souffle allant venant se suffisant à lui-même. »
Olivier Adam emploie la langue de ses personnages, brutales, souvent familières, sans apprêts. Ce n’est pas la sienne, or c’est souvent ce qui fait débat parmi les « spécialistes ». Il suscite le débat, la polémique, malgré lui. Reste le plaisir que l’on éprouve à contempler ce puzzle, à le reconstituer de chapitre en chapitre, à l’entendre de voix en voix. On sent combien cela tient au cœur de ce romancier.

Norbert Czarny

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• Olivier Adam, « Peine perdue », Flammarion, 2014, 416 p. 
• Les romans d’Olivier Adam à l’école des loisirs.
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Norbert Czarny
Norbert Czarny

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