Penser avec les images (et le son) : "Dictionnaire de la pensée du cinéma"
« Le cinéma est une pensée qui prend forme, une forme qui pense. »
La formule est de Jean-Luc Godard, et c’est plus qu’une formule. On va souvent au cinéma pour se faire une idée du monde, l’enrichir ou la corriger. Tel film change notre façon de percevoir, de comprendre, d’aimer, de ressentir.
Les exemples sont si nombreux qu’un seul serait réducteur.
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Un outil pédagogique
Le dictionnaire paru en mai 2012 aux Presses universitaires de France donne les outils pour comprendre, analyser et mettre en perspective certaines données ou phénomènes aussi divers que ce qu’est un acteur, un arrêt sur image, l’Histoire au cinéma, ou qui sont Germaine Dulac, Eisenstein ou Gilles Deleuze dans le domaine du cinéma.
C’est donc un outil pédagogique qui rendra service aux étudiants comme aux professeurs, aux passionnés et érudits, comme à celles et ceux qui veulent découvrir.
Comme avec tous les dictionnaires, on le feuillette, on s’arrête sur un article, et on est pris par un autre.
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Quatre types d’objets
Cet ouvrage contient quatre types d’objets, présentés dans l’avant-propos, et qu’on retrouvera dans une table des entrées et trois index. Films, choses et noms sont énumérés en fin de volume, avec la liste et la présentation des contributeurs, pour la plupart de jeunes chercheurs et enseignants en cinéma.
Le cinéma ayant fort à faire avec la critique, on trouvera des entrées consacrées aux théoriciens majeurs et à certains auteurs qui, à l’instar de Jean-Louis Bory, « ont aidé à voir et à entendre ». Mais aussi Michel Cournot qui faisait de la critique de film en poète, plein d’un lyrisme qu’on n’a jamais connu depuis, et d’autres, plus anciens. Les philosophes sont de la partie, tels Deleuze et Benjamin, mais aussi Rancière ou Merleau-Ponty. Les images en effet vivent difficilement sans leur commentaire, issu de l’ekphrasis, commentaire des images comme la pratiquait Diderot, par exemple.
Certains cinéastes qui ont fait œuvre de critique figurent dans le dictionnaire et nul ne s’étonnera de trouver Rohmer, Truffaut ou Rivette, aussi bien là que dans les articles consacrés aux Cahiers du cinéma ou à la politique des auteurs. D’autres cinéastes comme Bresson apparaissent, parce que leur cinéma comme la littérature dont ils étaient contemporains a bouleversé nos systèmes de représentation.
On s’étonnera cependant de certaines absences, notamment celle de Scorsese dont la réflexion sur le cinéma, telle qu’elle apparaît dans ses documentaires sur le cinéma américain ou le cinéma italien semblent au néophyte d’une grande richesse, ou de Renoir dont la richesse et l’inventivité donnent à penser. Mais peut-être ce dernier est-il insaisissable ?
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Mythes, icônes et anachronismes
Le dictionnaire propose des entrées consacrées à des mythes et icônes, et nul ne s’étonnera d’y retrouver Brando, Marylin Monroe ou Bogart. Mais aussi De Funès, dont la puissance comique a souvent fait débat. Valère Novarina lui a consacré un texte important.
Les grandes catégories théoriques (espace, mouvement, etc.) ainsi que des motifs comme le plan-séquence, les cadrages-décadrages ou le ralenti donnent lieu à des articles. On ne s’en étonnera guère, songeant à ce qu’écrivait Rivette du travelling final de Kapo, de Pontecorvo, « affaire de morale ». Certains films ont droit à leur entrée. On ne s’étonnera pas d’y trouver les grands classiques, on s’amusera d’y voir Ben Hur, dont le renvoi est simple : « anachronisme ». Les renvois sont comme l’hypertexte qui lance le lecteur d’article en article, à l’infini (ou presque).
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Nanards, navets et grands films malades
Mais comme tous les dictionnaires, et notamment ceux qui assument leur part de subjectivité, ce volume est passionnant par ses choix surprenants, ses marges, sa singularité. L’article « Navet » met en valeur la différence entre ce type de films et les « Nanards », montre que ces films ratés sont souvent plus intéressants pour des metteurs en scène qui veulent éviter les erreurs, que les chefs-d’œuvre écrasants. Telle est du moins l’opinion de Werner Herzog.
Quant à Truffaut, il avait inventé la belle catégorie des « grands films malades » qui demandent notre attention.
L’article « Populaire » montre ce que cette catégorie, incritiquable selon Serge Daney, représente. On y rappelle qu’avant d’être un art comparable à la littérature, au théâtre ou à la peinture, cet art forain était un divertissement du samedi soir, et que la cinéphilie d’origine ouvrière voyait en Bogart un héros anti-impérialiste, alors qu’Hollywood n’était pas en odeur de sainteté dans les années cinquante, parmi les militants communistes.
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Dans l’échoppe du cordonnier
L’article « Studio » rappelle que Welles voyait ce lieu comme l’espace dans lequel il pouvait jouer au plus beau des trains électriques et que Melville le comparait à l’échoppe du cordonnier. Les anecdotes ne manquent pas, et on a envie de lire pour les collecter. L’une d’elle concerne le tournage de The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer) de Cimino. Elle figure dans l’entrée « Histoire » et on laisse au lecteur le soin de s’en émerveiller.
Oui, émerveiller. Tel est le grand pouvoir du cinéma, qu’on le voie ou qu’on le lise. Tout en lui contribue à faire penser, et à faire rêver.
Norbert Czarny
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• « Dictionnaire de la pensée du cinéma », sous la direction d’Antoine de Baecque et de Philippe Chevallier, PUF, « Quadrige dicos poche », 816 p.