Photographie :« Au doigt et à l’œil », de Françoise Huguier
Un angle décalé
Du 4 juin au 31 août, la Maison européenne de la photographie propose une exposition des travaux réalisés par Françoise Huguier. Si l’image est son moyen d’expression favori, elle sait aussi raconter et on en jugera en lisant Au doigt et à l’œil, autoportrait qu’elle a écrit en échangeant avec Valérie Dereux.
Vivant parce que Françoise Huguier a mené et mène une existence passionnante, digne parfois d’un roman d’aventures. Tout commence dans la forêt indochinoise. Elle a huit ans, son père dirige une plantation au début de la guerre d’Indochine.
Elle et son frère se font enlever par le Viet-Minh et conduire au Cambodge. Ils seront otages huit mois, dans des conditions très difficiles. Puis libérée, l’enfant entre chez les Sœurs, à Brunoy. La chance veut que cette institution religieuse applique la pédagogie Montessori et enseigne à la jeune fille à apprendre, à s’organiser de façon autonome et à entretenir son esprit critique. Ce qu’elle ne manquera jamais de faire.
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La découverte de la photographie
Elle connaît la fièvre de ces années soixante, quand on peut écouter le cours de Leroi-Gourhan, voir les films modernes dans les salles du Quartier latin s’habiller avec les mini-jupes de Mary Quant ou comme Silvana Mangano dans Riz amer.
Après quelques études en propédeutique, lui vient le goût de la photo. Elle commence en tirant les photos des autres, de grands photographes comme Guy Bourdin qu’elle admire, Sarah Moon ou Irving Penn. Puis elle se forme et devient elle-même photographe. Elle travaille pour 100 idées et pour Zoom, fait un premier voyage avec son mari en Indonésie et ce sera l’expérience du journal Libération.
Rien à voir avec le quotidien que nous connaissons. C’est encore le temps de l’argentique, des appareils photo qu’on transporte en nombre, avec des pellicules diverses, pour répondre aux situations variées. C’est surtout le lieu des expérimentations, des beaux ratages et des instants uniques. Elle côtoie les grandes plumes du journal.
Photo-reporter à contre-emploi
Avec Serge Daney, elle est au Japon, rencontre Kurosawa, retrouve la tombe de Mizoguchi, l’un des maîtres du critique cinématographique, mais ses planches contact sont égarées par le journal… Elle accompagne souvent des journalistes, chose qui ne se pratique plus vraiment et qui empêche l’indispensable dialogue entre la plume et l’œil. L’agence Vu, fondée par Christian Caujolle; donne un nouveau cadre à son travail, la libérant pour partie des contraintes de l’actualité. L’angle décalé est celui qui obsède Huguier et que privilégie Caujolle, choisissant les photos-reporters à contre-emploi.
L’angle qui intéresse Françoise Huguier est celui de la culture quotidienne, de la vie ordinaire et des rites pratiqués par celles et ceux qu’elle photographie. D’où ses nombreux voyages, et le temps qu’elle y consacre. Elle est moins dans l’instant que dans cette durée permettant d’écouter, de regarder, de comprendre, par le détail, le geste, la couleur ou l’atmosphère.
C’est le cas au Japon, ça le sera lors du fabuleux séjour en Sibérie dont le récit clôt l’ouvrage, et plus encore sur sa terre d’élection, en Afrique. Le Mali est son deuxième pays… avec la Bretagne dont elle est originaire.
Sur les pas de Michel Leiris et de « L’Afrique fantôme »
La trajectoire de la photographe n’est pas d’un seul tenant. Elle connaît des crises, des moments de doute, est prête à renoncer à son art. Une nouvelle terre, une proposition originale réveille son désir. C’est le cas lorsqu’elle suit les défilés de mode, cherchant la manière qui donnera aux stylistes une place qu’ils n’avaient pas. Ça l’est aussi quand elle lit L’Afrique fantôme de Michel Leiris. Elle a besoin d’exorciser une peur, d’en finir avec l’impossibilité de photographier ce continent, ses habitants. Elle rencontre l’écrivain chez lui, à Paris, et part sur ses traces d’une rive à l’autre du vaste continent.
Michel Guy, un des très bons ministres de la Culture, l’aide à monter ce lourd projet. Le texte écrit par Michel Cressole ne montre pas d’admiration pour l’écrivain qui l’aime pour cela, précisément. Le récit de ce voyage est amusant et passionnant, mêlant l’esbroufe (des expériences vaudou assez discutables) et la vraie découverte. Et puis une anecdote amusante, concernant le portrait de Leiris donne toute la mesure de cet étonnant personnage.
De l’Afrique à la Sibérie polaire
Cette découverte, on la ressent dans toute son intensité en lisant le dernier chapitre consacré à cette partie de la Russie qui se trouve prise par le froid et la nuit polaires. La rencontre avec les Nénets, l’un des peuples de ces régions, est un moment fort dont on ne dira pas grand chose, afin que les lecteurs s’en émerveillent ou s’en étonnent.
On retrouve ici et là la trace de l’oral et le ronchon qui écrit ces lignes notera deux ou trois « définitivement » (pp. 157, 195, 214) et un « challenge » (p. 157) qui disparaitront, soyons-en sûr, à la réédition du livre. Il serait en effet dommage de s’arrêter sur ces américanismes alors que le livre est si riche et vivant.
Aux dernières nouvelles, Françoise Huguier aurait aimé retourner au Mali, après la guerre menée l’automne dernier. Elle est encore et toujours aussi curieuse que l’enfant en péril qu’elle a été. Rien ne semble l’effrayer ; on a envie de la suivre !
Norbert Czarny
• Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, 75004 Paris. Exposition Françoise Huguier. Pince-moi, je rêve, jusqu’au 31 août 2014.
• Françoise Huguier, en collaboration avec Valérie Dereux, « Au doigt et à l’œil. Autoportrait d’une photographe », éditions Sabine Wespieser, 2014, 256 p.
• France Culture : Alain Veinstein reçoit Françoise Huguier.
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