Plusieurs manières d’être auteur : correspondant de guerre, biographe, encyclopédiste…
Cette semaine,
plusieurs manières d’être auteur
.Après l’Alice du salon de Montreuil qui a eu le droit aux commentaires enthousiastes de la presse, l’héroïne de cette semaine littéraire ce pourrait bien être la journaliste et écrivain Martha Gellhorn, l’une des correspondantes de guerre les plus célèbres.
Celle qui a le droit à une pleine page du Figaro mais aussi aux unes du Monde des livres et de Libération, est connue pour avoir épousé Hemingway et s’en être séparée en déclarant ne pas vouloir « être la note en bas de page sur la biographie de quelqu’un d’autre ». Elle est à présent découverte pour son propre talent.
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La correspondante de guerre
La Guerre de face, de Martha Gellhorn (Belles Lettres), rassemble en 502 pages les chroniques de conflits qui vont de la guerre d’Espagne jusqu’à l’ouverture des portes du camp de Dachau puis jusqu’à la guerre du Vetnam. Celles-ci révèlent une écrivaine engagée dans tous les sens du terme. Elle s’insère dans le cours des événements aux côtés de ceux qui souffrent sans jamais oublier son rôle, distancié, de journaliste et c’est peut-être le plus grand tour de force de cette écriture.
On est saisi par des formules comme «le front était l’endroit le plus reposant de la Chine », « À Barcelone il faisait un temps idéal pour les bombardements » ou encore « On pouvait entendre siffler les obus allemands siffler avant d’aller s’écraser à l’intérieur des terres, quelques deux cents mètres plus loin, prendre un coup de soleil et penser que la vie était une excellente invention ». Cette légèreté apparente, marque des romanciers placés précisément « face à la guerre », renvoie en réalité à une profonde et réelle compassion pour le genre humain immergé dans cette épreuve :
« C’est l’histoire d’une petite ville hollandaise appelée Nimègue et que les hollandais prononcent d’une tout autre manière. La morale de l’histoire est la suivante : ce serait bien que les allemands ne fassent pas la guerre tous les vingt ans environ et, à ce moment-là, il n’y aurait plus d’histoires à propos d’une petite ville comme Nimègue. »
Son écriture, faite de désinvolture et de sens tragique de la guerre, un tragique réaliste, dépouillé précisément par la désinvolture de son pathos facile, parcourt l’ensemble des chroniques et l’on retrouve un peu du style de Malaparte dans Kaputt. Toute sa pensée tient en une phrase :
« La guerre affecte les gens un par un. C’est tout ce que j’ai à dire et il me semble que je le dis depuis toujours. »
Cette individualisation du sort de la victime s’inscrit à l’opposé des grandes mêlées héroïques et viriles, et c’est peut-être ce qui explique la brusque actualité de cette auteure, dans la perspective très contemporaine de conflits en partie fondés sur l’agression des individus.
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L’écrivain biographe d’un écrivain
Philippe Forest est avant tout écrivain mais il trouve un bel objet biographique avec Aragon. Comment peut-on encore écrire sur le sujet ? se demande-t-on (trop tard, tout est dit) et dans le même temps s’il est possible de le faire (Aragon pléthorique, trop vaste). L’œuvre est protéiforme pour ce qui est des genres comme des engagements.
Quelque chose du destin romanesque d’Aragon est inscrit dans ce livre, qui reprend, en les étayant en bon universitaire, les épisodes d’une vie romanesque. Voici pourquoi lire cet Aragon, parce que le biographe, sans faire « de l’Aragon » inscrit le déroulement de cette vie faite de volte-face du surréalisme au communisme, des femmes à une seule femme, puis aux hommes dans un parcours unique parvenant à en rassembler les éléments épars sans jamais céder à la dénonciation facile de l’escroquerie.
Philippe Forest témoigne au contraire d’un respect absolu d’écrivain à écrivain envers celui qui, notamment a rédigé le chef-d’œuvre du récit surréaliste avec Le Paysan de Paris, en en faisant l’un des plus important personnage d’écrivain du XXe siècle.
Pour pasticher une formule qui a déjà beaucoup trop servi, la vie après Aragon c’est encore de l’Aragon (Gallimard, « Biographies »).
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Un encyclopédiste et les lumières du verre
L’encyclopédiste enfin, c’est Serge Bramly qui livre un essai consacré au verre, La Transparence et le Reflet (Jean-Claude Lattès). Essai qui le situe, en fait, quelque part entre Montaigne et l’Encyclopédie ; d’un constat peu banal – « Le verrier n’a personne, son art ne se rattache à aucune intervention supérieure. Le verre ne naquit ni de l’humour coléreux des dieux, ni des étoiles du ciel, ni de la faute d’une nymphe,ni des prunelles étincelantes du coyote » – , il tire un ouvrage qui joue à cache-cache avec son objet.
Évoquant la découverte du verre et parfois le peu d’intérêt que les civilisations antiques portent à sa transparence, il progresse en curieux, autant guidé par le soin de son objet que par son penchant à voir et à savoir. Sans y insister, et non comme s’il était le détenteur d’une théorie unique, il déroule alors dans cet ouvrage sa collection d’images, son cabinet de curiosité, en amateur d’art qui sait regarder.
D’où cette transparence et ce reflet qui nous éloignent bien souvent de la matière-verre pour rendre compte d’expériences esthétiques du regard face à une œuvre en particulier. Ajoutons qu’il y mêle encore son parcours personnel, racontant comment l’idée lui en est venue, non d’un point de vue scientifique mais anecdotique. On y découvrira donc des glaces peintes, reflétant mais aussi dévoilant, des fenêtres, du verre à l’image des pierres précieuses, etc.
C’est une encyclopédie à la fois véritable pour ce qui est du contenu mais assez atypique sur le plan de son fonctionnement (des numérotations et des têtes de chapitres précises, mais à tiroirs, pleines de surprises, pas de glossaires mais une table des illustrations.) qu’on pourra lire à sauts et à gambades.
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La correspondante, le biographe et l’encyclopédistes, autant de manières d’écrire de façon tout à fait personnelle, en partant d’objet imposés, qui illustrent cette semaine une qualité de l’écrivain assez peu mise mais dont on devrait écrire l’éloge, celui du flair qui découvre mille différences là où les autres hommes ne voient rien que d’uniforme, disait Voltaire, bref, la sagacité.
Frédéric Palierne
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Je lis Martha Gellhorn depuis votre chronique et je souscris, ses articles sont du grand art, elle a le talent de Stevenson, une écriture très visuelle…