Portrait de la beauté romaine. Un portrait en miroir
ANTIQUITÉ. L’étude de la représentation de la beauté à Rome permet une analyse du masculin et du féminin à l’époque, thème au programme de première. C’est aussi l’occasion d’adopter une attitude de chercheur face à des sources parcellaires et de découvrir ou revisiter la poésie d’Ovide.
Par Haude de Roux, professeure de lettres classiques dans l’académie de Versailles
Au programme des classes langues et culture de l’Antiquité de première, l’objet d’étude «Masculin. Féminin» est épineux, même s’il paraît très en phase avec l’actualité. Outre la notion de genre, le thème est délicat parce que nos sources sur l’Antiquité sont lacunaires, partielles et surtout partiales : les témoignages à notre disposition sont essentiellement masculins. Ce sont eux qui traduisent la beauté, eux qui alors tiennent le stylet, prennent la parole, légifèrent, sculptent, dessinent et décorent. Ils sont les auteurs d’œuvres sur lesquelles la femme appose son mutisme. Comment dire alors le féminin ?
Il y a donc un vrai défi à relever pour tenter d’approcher une forme de vérité, déceler des fragments du passé et avoir conscience qu’une part majeure de ce qui nous parvient relève de la simple projection d’un artiste. Nos interprétations ne peuvent donc être que très approximatives. Mais là n’est pas la gageure la plus intéressante : notre intention est d’inviter les élèves à adopter la posture du chercheur qui, conscient d’un contexte, émet des hypothèses, se heurte à des silences, parfois entend une solution. Sans compter le plaisir de leur faire découvrir la poésie d’Ovide…
La muse est ici perçue comme le portrait de la jeune fille idéale, reflet de l’admiration des Romains pour la perfection du beau, promue par les philosophes grecs. Ses traits réguliers, la délicatesse de sa posture réfléchie, la sobriété de sa coquetterie sont autant d’ornements destinés à illustrer l’inspiration artistique et ses belles proportions. C’est un portrait idéalisé, proche de l’allégorie, loin d’être individualisé. La représentation du beau et le culte des arts prennent souvent chez les Anciens la femme comme modèle. On entend ce vers d’Ovide
« La Beauté est un présent de la divinité » (Forma dei munus, Ars d’Amandi, III, 103).
« La beauté est le présent de la divinité », Ovide, L’Art d’Aimer (III, 103)
La beauté est-elle un don divin ou un miroir des hommes ? À écouter Ovide dans ses Amours (III,3), sa puella est une traitresse, sa « maîtresse » est une belle menteuse que le parjure rend plus belle encore : les longs cheveux (longos habuit periura capillos), le teint d’une blancheur de neige que poudroie le rouge des joues (niueo lucet in ore rubor) demeurent après la trahison ; son pied est toujours menu et sa silhouette longiligne. Ses yeux, grands, bien sûr, sont toujours lumineux « comme un astre » (Amours, III,3). Les dieux ne l’ont pas punie pour sa traitrise et le poète s’en indigne : « Ainsi les dieux permettront toujours le parjure aux belles, et la beauté est elle-même une divinité. »
On le voit : l’Antiquité voue, comme aujourd’hui encore bien souvent, un culte à la beauté : celle-ci rassure, celle-ci conforte une civilisation. La conception antique de la beauté est très proche de la nôtre. Les témoignages littéraires le confirment : une grande attention est d’abord portée à l’apparence, et ce, dès la fin de la République.
Les critères de beauté des fresques de Pompéi, par exemple, expriment la préférence masculine pour les femmes sveltes, élancées comme la Corinne d’Ovide (longa decensque). En écho au poète de cour, on entend ces vers de Properce qui célèbre le corps féminin* : « la tête gracieuse, les doigts charmants les yeux noirs de son amante et ces pieds dont les mouvements respirent la volupté la plus douce » (« qui caput et digitos et lumina nigra puellae/et canat ut soleant molliter ire pedes? »). Elle est sa muse, sa Cynthie, la « grande gloire » du dieu Amour (« haec mea Musa leuis gloria magna tua est. Elégies, II,12 »). Charme et chant* ne font qu’un, participent de l’enthousiasme du poète, et la gloire est espérée comme promesse d’immortalité. Art et beauté également, puisqu’ils s’apparentent au divin. Les poètes à l’époque d’Auguste, particulièrement, célèbrent l’empire divin d’Eros. La femme est la source et le résultat de son art.
De même, ces visages soigneusement maquillés, ces portraits peints à la cire sur des planchettes de bois, révèlent l’artifice et le soin apportés au corps et à la parure dans tout l’Empire romain. À contempler les portraits funéraires du Fayoum exécutés à partir du règne de Tibère, on mesure la coquetterie de ces jeunes femmes de leur vivant, elles, aux yeux si expressifs et au teint si frais. On pense à Ovide prodiguant quelques années plus tôt ses conseils de cosmétique aux jeunes amantes : « Vous savez aussi vous donner un teint éclatant en appliquant du fard ; celle dont le sang ne fait pas rougir naturellement la peau la fait rougir artificiellement » (« sanguine quae uero non natura rubet, arte rubet ». Art d’aimer, III ; 199-204. Trad Henri Bornecque]. La nature (« natura ») en regard de la culture (« arte »). Le rouge comme marque de pudor*, vertu essentiellement et « naturellement » féminine.
Et pourquoi tant de soins ? « Si les femmes autrefois n’ont pas donné tous ces soins à leur corps, c’est que, autrefois, leurs maris non plus ne prenaient pas tous ces soins. Si la tunique qui couvrait Andromaque était de toile grossière, faut-il s’en étonner ? Son époux n’était qu’un rude soldat » ( AA, III, 109-110). Prenons donc quelques précautions dans notre recherche de la féminité et de la beauté des femmes romaines : elles sont bien souvent un miroir des hommes, si ce n’est leur réplique ; ce sont les hommes qui les peignent et sculptent leur beauté « divine ». Ce sont eux qui en parlent et attestent de ce qui fait leur charme et leurs attraits. Ils posent les règles du jeu de la séduction1, les normes. La femme reste toujours sous le regard du masculin. Sous son prisme peut-être. Et puis la femme dit quelque chose de l’homme.
La vertu est femme par son vêtement et son nom ; est-il étonnant qu’elle plaise à son sexe? Ovide, L’Art d’Aimer (III, 23-24)
Doit-on parler de la femme comme du « sexe faible » ? Il semble que, souvent, la femme est le contrepoint de l’homme, « le second thème qui se développe parallèlement au premier » (CNRTL). Ainsi, quand Ovide divulgue ses recommandations, il laisse paraître alors l’image qu’il a de la femme et de l’homme tout autant. Le poète, à travers ses conseils, parle autant des jugements des hommes sur les femmes que des attentes masculines. Leurs aspirations et leurs devoirs. S’il invite la mulier* à pratiquer des jeux, ceux-là de grâce, de stratégie ou de hasard, sont expérimentés à bon escient : « Je veux, cela on n’en doute pas, qu’une femme sache danser» (AA, III, 349), mais aussi jouer aux dés, aux osselets ou aux échecs, combat qu’elle livrera « avec prudence et méthode » (« Cautaque non stulte », AA, III,357). La subjectivité de l’homme apparaît peut-être d’ailleurs dans l’emploi de « non stulte » signifiant « non de manière stupide »). On peut imaginer en creux un procès d’intention qui laisserait penser que souvent la femme agit « stulte ».
Quoiqu’il en soit, la femme est dans la réserve, la retenue et la pudor, quand l’homme lui peut se livrer à des exercices en extérieur, ce qui sied à sa liberté, à son « envergure » : «Tels sont, femmes, les jeux que votre nature délicate vous permet ; un champ plus vaste s’ouvre devant les hommes. (…) À vous le Champ de Mars ne convient pas, à vous non plus l’eau virginale glacée» (AA, III,380 et suiv.). La promenade à l’ombre des portiques va à son teint délicat. L’homme, exposé au soleil, a le teint hâlé ; la femme non. Il y a une «faiblesse» féminine, dans les activités physiques, mais aussi dans la capacité à supporter les émotions. Ovide prévient : les assauts d’Eros sont pour la femme plus dangereux : « La femme ne sait pas écarter les feux et les flèches cruelles [de l’Amour] ; je constate que ces traits sont moins redoutables aux hommes. Les hommes trompent souvent, les femmes, sexe délicat, peu souvent. » (« Femina nec flammas nec saeuos excutit arcus; /Parcius haec uideo tela nocere uiris/ Saepe uiri fallunt: tenerae non saepe puellae ». AA, III,30). L’homme est dépeint comme victorieux (« Sois d’abord bien persuadé qu’il n’est point de femmes qu’on ne puisse vaincre, et tu seras vainqueur : tends seulement tes filets », AA, I,270). Il est un être fait pour l’activité voire comme un prédateur, en tout cas un homme qui s’avance armé au combat de l’amour. C’est pourquoi Ovide donne quelques armes de défense à la femina2 : « J’ai donné des armes aux Grecs contre les Amazones, il me reste, Penthésilée, à donner aussi des armes à toi et à tes escadrons » (AA, III, 1-2). Penthésilée, fille d’Arès et reine des Amazones fait face à Achille… La femme a donc du répondant ; elle n’est pas sans défense.
Les couleurs des vêtements féminins sont éloquents : elles sont discrètes, atténuées. Ovide conseille ainsi les tons froids ou en demi-teinte. Le vert est prisé : vert d’eau, vert amande ou vert sombre, mais aussi le violet, le gris ou le brun. On trouve toutefois des couleurs plus chatoyantes comme le orange ou le rose. En cela encore, la femme s’inscrit dans une posture sociale qui n’est pas celle de l’homme. Elle évite les tissus pourpres et dorés, symboles du pouvoir. Instrument d’exhibition sociale par son maquillage et ses bijoux , ses apprêts sont là pour manifester sa santé et sa jeunesse mais aussi son rang social puisqu’elle use de produits coûteux, rares quelques fois, qui n’est pas à la portée de la première venue. Sa beauté, enfin, est le résultat de longs préparatifs que son statut
de « femme d’intérieur » lui permet.
En revanche, trop de soin (cultus) chez l’homme est vite condamné car il trahit le bellâtre, comme l’était Pâris. Ovide rappelle que « Thésée enleva la fille de Minos, sans avoir les tempes dégagées à l’aide d’épingles ; Hippolyte fut aimé de Phèdre, et il était peu soucieux de sa personne ; une déesse était éprise d’Adonis, homme des forêts » (AA, I, 509 et suiv.)
Pour aller plus loin sur l’analyse de l’oeuvre d’Ovide, L’Art d’Aimer : https://journals.openedition.org/ilcea/7589
« L’art ne fait qu’imiter le hasard » (Ovide, Art d’Aimer, III)
« À la place où vont ces broussailles flétries, j’ai vu fleurir des violettes » (AA, III, 67 ). Par cette métaphore touchant aux dommages de la vieillesse, Ovide insiste sur les effets bénéfiques de l’art de plaire. Tous ces artifices, les « violettes délicieuses » vantées par Ovide, toutes ces conventions visent également à éloigner la puella et le vir de l’animalité et du sordidus (ici des « broussailles » résultats d’un manque de soin). Le sordidus est condamné par les valeurs romaines. Le naturel « sauvage » déplaît : une femme réprimandant sa coiffeuse est ainsi mise en scène et sa gestuelle est disgracieuse : la voilà comparée à une tigresse qui fait fuir l’amant (« Je hais les femmes qui lui déchire la figure avec leurs ongles » AA, III,240 et suiv.). C’en est fait : l’ornatrix ensanglantée est la proie d’une domina de mauvaise humeur, hirsute (hirtus est l’adjectif latin qui signifie tout à la fois ce qui est « hérissé », « velu », grossier », « primitif » et « sans culture »). Pour séduire, il faut s’éloigner du primitif et montrer une éducation, signe d’une conscience de soi ; tout est ainsi étudié, composé artistiquement : les jeux, l’allure, les cosmétiques mais aussi la manière dont une femme peut rire : « Qui le croirait ?, écrit encore Ovide, les femmes apprennent même à rire et acquièrent ainsi un charme de plus », mais « que ce rire sonne léger et digne d’une femme ». Car parfois, ajoute le poète, le rire « sonne rauque et désagréable ; tel le braiement d’une vieille ânesse qui tourne sous la meule rugueuse » (AA, III).
L’animalité est toujours combattu par l’ars. Pour paraître soignée, saine et cultivée, la femme s’applique parfois à cacher sa vraie nature. Elle glisse vers l’« artifice ». C’est pourquoi, par exemple, elle ne doit pas se laisser voir à sa toilette, ni révéler ses secrets : «Mais que votre amant ne vous surprenne pas avec vos boîtes étalées sur la table : l’art n’embellit la figure que s’il ne se montre pas» (AA, III, 209). Et si l’homme peut assister à une séance de coiffure, c’est parce que les cheveux, épars, sont pour plaire en ce qu’ils composent un tableau sensuel, tel un paysage, surtout s’ils sont « flottants sur les épaules», avec des « ondulations semblables aux eaux de la mer »( similes fluctibus illa sinus, AA, III,148). Parce que la femme est alors un tableau d’art.
Le recueil d’Ovide exalte également un certain raffinement contemporain de la cour d’Auguste, au Ier avant J.-C. Ce raffinement s’entend dans les élégies de Tibulle et de Properce comme dans Les Amours d’Ovide et s’oppose à la rusticité de la Rome primitive et au rude temps des épopées. L’Art d’aimer s’accompagne d’un art de se « cultive ». Le verbe colo se traduit d’ailleurs autant par « cultiver », « soigner3 », que par « parer son corps3 ». Il semble que, dès la fin de la République, « prendre soin de soi » (expression que l’on entend partout aujourd’hui), c’est « se parer ». Le naturel n’est décent que s’il est synonyme de «sain », preuve d’une bonne santé. C’est ainsi qu’on trouve des recommandations d’Ovide, tel un précepteur à son élève, un médecin à son patient, concernant le soin de sa personne : se laver le visage à sa toilette chaque soir, éviter « la forte odeur de bouc sous [ses] aisselles » et les « poils rudes», maintenir ses dents blanches par un lavage soigné et conserver une haleine irréprochable.
Hygie3, la déesse de la santé, veille à ses soins (curae), mais elle reste dans l’ombre car si
« ces apprêts [donnent] des charmes », « le spectacle en est désagréable ». Et Ovide de s’exclamer : « Que de choses choquent pendant qu’on les fait et plaisent quand elles sont faites ! Voyez aujourd’hui ces statues, signées du laborieux Myron : elles ne furent jadis qu’un bloc informe, qu’une grossière masse de métal ». On le voit, la femme et la statue d’art sont mises en parallèle, la maîtrise de la nature n’est pas seulement révélatrice d’une domination de la civilisation sur l’inculte, mais aussi signe de la maîtrise de sa propre nature humaine. Et puis la femme a surtout comme finalité essentielle la conservation de sa santé pour être aimée et procréer.
Le traité d’Ovide Ars amandi, et son livre III plus particulièrement, auquel nous nous ici beaucoup référés, assemblent les précieux conseils d’un amoureux de l’amour et révèlent aussi les moyens de déjouer les pièges de la séduction masculine, ses jugements et ses exigences enfin. Plus cette œuvre se révèle à nous, plus il nous apparaît qu’au-delà de conseils de séduction prodigués, ces vers dévoilent véritablement le masculin. Autant que le féminin : en correspondance et en miroir.
Les Romains ont très tôt parler d’une « débauche de luxe » qui va en s’accentuant aux IIIe et IVe siècles de notre ère, quand la mode syrienne s’impose, avec de grands et lourds bijoux, des colliers composés de cylindres d’or, des bracelets à enroulements multiples, des boucles d’oreilles aux nombreuses perles et pendeloques.
A l’instar du costume, les bijoux s’orientalisent
PISTES PÉDAGOGIQUES
1. Du côté de la culture, des mots-concepts à approfondir : la racine du « chant », de
l’« incantation » et du « charme » (*carm– :*can-) ; la « séduction » (< se ducere soit « conduire à soi ») et ses appâts par l’investigation du champ lexical du corps ; l’étude sémantique de la notion de pudor (et du verbe pudeo), terme infiniment riche puisqu’il traduit une large palette de sentiments, allant de la « réserve », la « retenue », la « timidité » et la « délicatesse » à la « honte », au «déshonneur » voire à l’ «opprobre ». On appréciera ainsi le glissement de sens du mot, du physique à l’éthique. De plus, la pudor est également l’« honneur » (pudor et pudicitia sont deux vertus romaines essentielles pour dire le « sentiment moral » et la mesure). La pudor est donc la «mesure » de la femme, sa place et sa délimitation en quelque sorte. Ovide le rappelle dans son livre III de L’Ars Amandi : « Ipsa quoque et cultu est et nomine femina Virtus/ Non mirum, populo si placet illa suo » (« La Vertu est femme par son vêtement et son nom. Est-il étonnant qu’elle plaise à son sexe ?* » AA, III, 23-24). L’idée de pudor est connexe à celle des temps primitifs, d’une Rome vertueuse. Juvénal, un siècle plus tard, sera très explicite dans sa satire des femmes impudiques et appelle de ses vœux l’antique matrone : « Je veux que le destin t’en ait fait une exprès / Dont l’aimable décence égale les attraits ;/Qui joigne à la beauté les vertus domestiques ; / Qui soit riche, féconde, et qui, sous ses portiques, / Avec magnificence étale à tous les yeux / Les bustes triomphants de ses nobles aïeux : / Une femme en un mot pareille à ces Sabines / Qui, les cheveux épars, pudiques héroïnes, / Coururent au milieu d’un combat plein d’horreur, / Désarmer des époux, des pères en fureur» (Satires, VI). La pudor va de pair avec la mesure. Dans la démarche qu’une femme doit adopter, par exemple, il est une mesure à garder nous prévient Ovide : «Dans ces démarches, l’une sent la campagne, l’autre est plus prétentieuse qu’il ne convient » (Sed sit, ut in multis, modus hic quoque: rusticus alter/ Motus, concesso mollior alter erit. AA, III, 305-306). Une mesure entre la nature brute et l’artifice trop poussé.
2. Femina ou mulier ? Mulier,eris,f désigne « la femme » de manière générique. Mais le latin connaît de nombreux termes pour désigner « la gent féminine » et chaque terme éclaire une de ses facettes, une de ses fonctions essentielles. Femina,ae, d’abord, est la « femme » par opposition au « mâle » (masculi et feminae, « mâles et femelles » nous indique Pline dans son Histoire naturelle, 37, 92). Quintilien emploie femina pour le « genre grammatical féminin ». En cela le terme s’oppose à mas, maris, m « mâle » en latin. C’est ce mot qui grâce au suffixe diminutif a permis de former l’adjectif « masculin » (masculus). Ce radical signifie « mâle », « viril » et « digne d’un mâle ». Revenons à la manière de désigner la « femme ». Plusieurs mots coexistent. Fréquent, le terme uxor, oris perçoit dans la femme son alliance et son lien au mari, au vir. Il s’agit de la femme mariée, l’épouse dirions-nous. L’expression uxorem ducere (« avoir une femme») est centrée sur le rite primitif pour le mari de « conduire » l’épousée dans sa domus. On trouve également l’expression adjungere uxorem qui dit davantage le lien le joug (ζυγον en grec, de la même racine *jug- que dans le verbe latin jungo, « joindre, unir, lier » et dans le nom commun jugum signifiant «l’attelage » mais aussi « lien du mariage »). Une « union-joug » est posée sur la femme, certes et cette vision patriarcale du mariage a été maintes fois commentée. On peut aussi voir dans cet emploi métaphorique le lien étroite et l’attelage que forme le mari et son épouse. Des linguistes rapprochent même l’étymologie de uxor au « chariot » qui menait la jeune femme à sa nouvelle demeure. L’explication d’un tel mot peut donner l’occasion d’exposer les rites liés à la cérémonie du mariage, du déplacement de l’épousée au rapt mimé au seuil de la domus du maître. Elle devient alors la matrona. C’est la femme mariée et potentiellement mère, la mater (dont le radical du génitif est matr-), terme avec lequel la matrona partage le même radical, tout comme matrix qui désigne plus particulièrement « la reproductrice », « la femelle » et la « matrice » et plus généralement, la « mère souche ». Un tout autre espace est dévolu à la puella : cette jeune fille « bien aimée », amante et « maîtresse » nous dit le Gaffiot, que les poètes chantent et célèbrent. Les plus célèbres au temps d’Auguste, sont Ovide, Properce que nous avons évoqués déjà mais aussi Tibulle et Catulle, poètes élégiaques. Tous adressent à la puella reproches et compliments (deliciae puellae meae, « les délices de ma mignonne» dit Catulle, 2,1). Elles sont avant tout la version féminine du puer, ce « jeune garçon » encore « célibataire ». Puella vient de *puer-la (« la petite enfant »), puisque le suffixe – la – permet de former des substantifs féminins. Avec une fonction assez proche, on trouve la domina, pendant du dominus, qui investit le pouvoir dans sa domus mais aussi dans le cœur d’un amant. Les sens du Gaffiot se retrouvent dans les vers de Tibulle et de Properce, amoureux conquis et souffrants, parlant de leur domina, leur « amie ». Le radical de notre « maîtr-esse » dit exactement le même pouvoir de décision et de sujétion de la femme. La domina partout commande : elle est l’ « épouse », la maîtresse de maison mais aussi la souveraine ; l’essentiel de son pouvoir est là, et on comprend comment le terme a pu revêtir chez Suétone le sens de « impératrice ».
Portrait du Fayoum, musée du Louvre. Les portraits de mulieres et puellae sur bois ou sur parois nous révèlent ces critères de beauté célébrés : le front de la belle est petit, ses cils longs et fournis, soulignant l’intensité du regard. Mais ils révèlent aussi les « filles délicates » selon Ovide, parées de pierres précieuses, d’or et de perles de verre imitant ainsi les femmes étrusques. Ecoutons le poète : « Mais vos mères ont enfanté des filles délicates ; vous voulez porter des habits brochés d’or; vous voulez des coiffures variées pour vos cheveux parfumés ; vous voulez montrer une main étincelante de pierreries. Vous ornez votre cou de perles tirées de l’Orient, et si grosses, qu’elles sont un fardeau pour vos oreilles. Cependant nous ne devons pas accuser les soins que vous prenez pour plaire, car ce siècle est aussi témoin de la recherche des hommes dans leur parure. » (Ovide, « Cosmétiques »). Autre commentaire d’un poète caustique : « Les trois quarts des charmes se trouvent dans des boîtes », Martial. Grâce au secret de ces boîtes, les lèvres sont colorées de rouge ou de violet, les yeux agrandis grâce à un contour cendré ou safrané. Le rouge et le noir sont complétés par la troisième des couleurs fondamentales des Anciens : le blanc du teint. Cette blancheur était obtenue grâce à la céruse fabriquée à partir de carbonate de plomb : Galien, médecin de Marc-Aurèle au IIe siècle après J.-C, déjà à l’époque, alerte de sa nocivité
Pour en savoir plus :
https://www.focus-mode.com/7507977/la-beaute-dans-la-rome-antique/
Interior et intimus : la femme est un être « du dedans», une « femme d’intérieur», soumise à une temporalité domestique bien définie, attachée à l’espace clos. Juvénal rappelle d’ailleurs que la pudor était autrefois, « au temps de Saturne et de Rhée » un caverne sûre, « une caverne à peine ouverte au jour » (Satires, VI, trad de V. Raoul). Le Gaffiot nous éclaire à ce propos : interior, ius est le comparatif d’un terme inusité lié à inter : c’est d’abord ce qui est « à l’intérieur », mais aussi « à l’abri de » ou encore « intime ». On parle ainsi de societas interior, d’une « société plus étroite, rapprochée, restreinte », ou d’epistulae interiores (Cic Fam, 3,10,9) soit de « lettres plus intimes », « plus personnelles », « qui touchent de plus près quelqu’un ». L’intimus est quant à lui le superlatif de ce même mot et désigne « ce qui est le plus en dedans, situé au fond ». Cicéron dira par exemple : in eo sacrario intimo (« au fond de ce sanctuaire » Verr, 4, 99). Lors des séances de maquillage, Ovide conseille à la femme de fermer la porte de sa chambre à coucher (AA, III,228).
Un site à découvrir… Toutefois, en contrepoint, on pourra lire l’article sur le livre de Joël Schmidt, Femmes de pouvoir dans la Rome antique pour se rappeler Clélie face au roi Porsenna, Tanaquil et Agrippine la Jeune convoitant la première place, les tactiques de Messaline ou de Poppée, Octavie et Julie dans le sillage d’Auguste. Des matrones exemplaires, des séductrices diplomates, des femmes-héroïnes, dominatrices et habiles, victimes aussi du poids politique qu’elles ont pu ou osé jouer… La Toge Et Le Glaive: Bonne Lecture : « Femmes De Pouvoir Dans La Rome Antique. »
3. Parer son corps : De somptueuses parures et des femmes dans les rues ! Apparaissant dès le IIIe siècle, les parures sont de plus en plus ostentatoires, au point de donner naissance à une loi, durant la seconde guerre punique, la lex Oppia. Elle interdisait aux femmes de porter trop de bijoux et des vêtements de couleurs, et les invitait à la retenue afin de consacrer plutôt leurs richesses à l’effort de guerre. Mais les Romaines ne virent pas cette promulgation d’un bon œil et manifestèrent afin de voir abroger cette loi. Cette forte démonstration féminine fit naître la peur des sénateurs de donner du poids politique aux femmes. La loi finit par être abrogée au grand plaisir des femmes
L’art de la joaillerie, chez les Romains, évoluent au rythme des conquêtes et des interactions avec des peuples étrangers. Il s’inspire ainsi d’abord en grande partie des Étrusques, leurs proches voisins. Deux techniques leur viennent d’Etrurie : la granulation (qui consiste à souder au bijou des milliers de granules d’or minuscules) et le filigrane (des fils d’or ou d’argent entrelacés puis soudés sur une même pièce de métal). Ces bijoux sont souvent façonnés par des artisans grecs.
Hygie et la beauté du corps : Scribonius Largus invente ainsi l’ancêtre du dentifrice « un dentifricium quod splendidos facit dentes et confirmat » selon Ovide. De même, Pline donne des conseils hygiéniques dans son Histoire naturelle : se frotter les dents avec de l’halimon ou utiliser du nitre de calastre cuit avec du poireau et brûler pour rendre un joli blanc aux dents devenues sombres. On peut aussi se frotter la bouche avec un flocon de laine brute imbibé de miel, ou de la cendre de laine. On trouve des crèmes pour tout faite souvent à base d’huile ou de miel : pour les rides, les imperfections de la peau ou les tâches de rousseurs. Des ingrédients plus incongrus aident à la dissimulation des défauts cutanés comme la bile, la moelle ou le placenta d’animal, les mollusques, les excréments d’animaux. Des ingrédients plus nocifs comme le plomb s’ajoutent à cette liste. À Rome, les femmes comme les hommes s’épilent, signe du culte que le masculin et le féminin vouent au corps et à son soin. Le citoyen romain s’épile avec de la cire d’aiguilles de pin, avec de la résine de poix ou encore de la bile animale. Il s’épile aussi bien les jambes, le visage que les aisselles. On comprend mieux alors la remarque faite par Ovide dans ses Cosmétiques : « Cependant nous ne devons pas accuser les soins que vous prenez pour plaire, car ce siècle est aussi témoin de la recherche des hommes dans leur parure. » Les exigences des hommes que trahissent les conseils d’Ovide dans l’Art d’aimer sont l’écho et le reflet, nous l’avons vu, de ce qu’ils attendent, certes, mais aussi de ce qu’ils sont.
RESSOURCES
Pour en savoir plus, et retrouver nos sources, des sites à découvrir … https://www.focus-mode.com/7507977/la-beaute-dans-la-rome-antique/
http://latogeetleglaive.blogspot.com/2013/02/tout-ce-qui-brille-bijoux-de-la-rome.html
Ce que nous racontent fresques, graffitis et pierres de Pompéi sur les femmes : Qui étaient vraiment les femmes de Pompéi ? – Ça m’intéresse (caminteresse.fr)