Pourquoi défendre les prépas
Par Pascal Caglar, professeur de lettres
Parcours exigeants et humanistes nés après la Révolution, les classes préparatoires offrent un accès unique, gratuit, égalitaire et méritocratique aux grandes écoles. Elles ouvrent vers des débouchés extrêmement larges. Surtout, elles forment des esprits agités par la vie, des idées.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres
Les annonces de fermetures de classes littéraires et les projets de dénaturation des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) poussent dans la rue professeurs et élèves d’Île-de-France.
Lire : Fronde contre la fermeture de prépas littéraires à Paris
C’est le moment de saluer le rôle des collègues de lycée travaillant à faire connaître ces classes et leurs débouchés auprès de leurs élèves et leurs familles. C’est l’heure de rafraîchir la mémoire de ceux qui, au nom de la démocratie, veulent la fin de ces dispositifs créés aux lendemains de la Révolution et qui offrent un accès unique, gratuit, égalitaire et méritocratique aux grandes écoles.
Hommage d’abord à ces collègues qui encouragent leurs élèves de terminale, leur donnent de l’ambition, leur ouvrent des horizons, les convainquent d’essayer les classes prépas, de poursuivre un travail pluridisciplinaire, dans un cadre scolaire protecteur et bienveillant, avec, à la clé, des débouchés extrêmement larges, allant, pour les littéraires, des écoles normales supérieures aux écoles de commerce, en passant par les écoles de journalisme ou encore l’École du Louvre. Le mérite de l’augmentation régulière du nombre de candidatures revient en grande partie à ces enseignants conscients de leur rôle de conseillers, et dont le travail se trouve récompensé par les admissions de leurs élèves dans ces parcours exigeants.
Retour sur la création des classes prépas
C’est en effet à la suite de la Révolution que les écoles supérieures comme l’École polytechnique (1794), l’École normale supérieure (1794), puis l’École spéciale de commerce de Paris (1819) ont été créés, avec comme conséquence la nécessité d’ouvrir des lieux de préparation aux concours d’entrée dans ces hauts lieux, en dehors de l’université consacrée à l’obtention de diplômes. Coïncidence, c’est sous l’Empire que sont initiés les lycées (1802) qui, au fil du XIXe siècle, vont progressivement aménager leurs classes de terminale en vue de devenir des classes prépas autonomes, d’abord scientifiques (mathématiques spéciales), puis littéraires (rhétorique supérieure).
Si l’histoire des prépas est étroitement liée à celle des lycées, de l’enseignement (programmes et matières et des grandes missions de l’État (formation d’ingénieurs, de professeurs), elle contient aussi un volet moral extrêmement important.
Cette formation humaniste donnée par toutes les prépas, cette marque inaltérable laissée chez tous par ces années d’études exceptionnelles, cette distinction scolaire éternelle, c’est peut-être Jean Giraudoux qui en a le mieux parlé, à l’occasion d’un article publié dans les années 1930 (il y a presque un siècle) sur l’esprit normalien. Chose curieuse et profondément intelligente, il évoque très peu les normaliens et parle surtout des préparationnaires. Distinguant d’abord l’esprit des khâgnes de l’esprit ordinaire des classes à concours : « La préparation à toute école est en général une concentration, un travail de chauffe, un exercice physique des facultés mentales. » Il souligne ensuite une particularité du khâgneux : « La préparation à l’École normale est un choix et un relâchement. C’est l’ouverture complète et sans retenue, faite à un esprit jeune, du domaine spirituel. […] Promu dès ce moment le familier des grands auteurs, des grandes morales, il peut très bien rester petit et médiocre, mais il restera de leur race. Il parle et écrit souvent bien mal leur langage, mais il n’use que de ce langage. »
Plus que jamais, la prépa est une chance non seulement pour la vie de l’esprit, mais aussi pour la vie active ultérieure, quelle qu’elle soit. Ce n’est pas un hasard si ce sont les prépas littéraires qui sont le plus menacées, parce que, comme le dit encore Giraudoux, la prépa littéraire est tout le contraire de l’école du conformisme. Les études humanistes y sont certes « la règle monacale », mais celle-ci est le « support d’existences anarchistes ». La khâgne est l’école de l’individualité retrouvée, sous le règne de la communauté acceptée.
La mobilisation actuelle des jeunes préparationnaires littéraires de Lamartine ou Chaptal est un nouvel écho de cet éternel esprit « normalien », toujours agité par la vie des idées, véritable richesse à préserver, faisant de Normale Sup et de toutes les khâgnes, « une école de milliardaires et de joie », selon le mot de Jean Giraudoux.
P. C.
Source
J. Reignup : l’esprit de Normale, préface de Jean Giraudoux, 1935.