Les professeurs documentalistes dans le nouveau collège
La réforme du collège apporte, en partie, au corps des professeurs documentalistes des évolutions positives dans leur exercice professionnel, leur permettant, entre autres, de répondre à leur mission pédagogique.
Ainsi, leur statut d’enseignant étant acté depuis 1989 par le CAPES de documentation, ils ont été intégrés, lors de la refonte des décrets statutaires des personnels, aux enseignants qui relevaient du décret de 1950. Par ailleurs, cette appartenance a été réaffirmée dans le référentiel des compétences professionnelles, les professeurs documentalistes partageant les mêmes compétences que leurs collègues des autres disciplines, plus quelques éléments spécifiques relevant de leurs axes de mission, notamment le rattachement à un domaine d’enseignement, la culture de l’information et des médias, que l’on retrouve concrètement dans les programmes à travers l’Éducation aux médias et à l’information.
Toutefois, les derniers textes de cette réforme, et particulièrement ceux de 2015, se font plus timides dans l’amélioration des conditions de travail de ces enseignants, qui restent sans horaires dédiés avec les élèves pour assurer leurs apprentissages et sans une pleine reconnaissance de leur travail d’enseignement eu égard au temps nécessaire à sa préparation et à son évaluation.
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Les professeurs documentalistes, le socle commun et l’ÉMI
On peut relever dans les nouveaux programmes, d’où sont tirées toutes les citations de cet article, plusieurs entrées pour une intervention systématique du professeur documentaliste auprès des élèves, mais aussi pour une collaboration pédagogique avec les autres enseignants. Le professeur documentaliste participe ainsi de près à deux domaines du socle commun: les « méthodes et outils pour apprendre » et la « formation de la personne et du citoyen», auxquels nous pouvons ajouter un travail pédagogique de promotion de la lecture, de l’art et de la culture, en particulier avec les professeurs de français, à partir de projets, par exemple, autour de lectures libres ou thématiques de prix littéraires.
Dans le premier domaine, « en classe de sixième, les élèves découvrent le fonctionnement du Centre de documentation et d’information. Le professeur documentaliste intervient pour faire connaître les différents modes d’organisation de l’information (clés du livre documentaire, bases de données, arborescence d’un site) et une méthode simple de recherche d’informations » (volet 2 du cycle 3, domaine 2).
Avec les autres enseignants, la démarche reste classique : le processus d’information et de documentation s’intègre à une activité de recherche documentaire et de publication qui conduit à l’acquisition de savoirs info-documentaires, contextualisée dans un chapitre disciplinaire. « Outre la recherche d’informations, le traitement et l’appropriation de ces informations font l’objet d’un apprentissage spécifique, en lien avec le développement des compétences de lecture et d’écriture. En sixième, le professeur documentaliste est plus particulièrement en charge de ces apprentissages, en lien avec les besoins des différentes disciplines » (volet 3 du cycle 3, français).
La formation du citoyen, qui peut s’effectuer en complément de démarches de recherche, rejoint les compétences des professeurs documentalistes au niveau des Sciences de l’information et de la communication, discipline universitaire de rattachement, pour amener les élèves à comprendre les environnements informationnels et numériques, à développer un recul critique à l’égard des médias, de la culture numérique, et à adopter un comportement responsable, légal et éthique face à l’information. Ce sont là des éléments que l’on retrouve dans les programmes d’Éducation aux médias et à l’information (ÉMI), inspirés du domaine de l’information-documentation qu’ont développé les professeurs documentalistes depuis plus de trente ans.
Les différents axes de l’ÉMI suscitent des collaborations variées, mais demandent aussi à ce que le professeur documentaliste puisse assurer seul des apprentissages avec les élèves dans le cadre de l’Accompagnement personnalisé (AP) ou d’heures spécifiques d’Enseignement pratique interdisciplinaire (EPI), notamment pour le thème «Information, communication, citoyenneté ».
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Contre le leurre de la transversalité,
un rappel des compétences info-documentaires
Apprendre aux élèves de sixième et à ceux du cycle 4 à « s’informer dans le monde du numérique » (volet 3, histoire-géographie) relève des compétences du professeur documentaliste puisqu’il a été formé pour cela ! Il est bon que les enseignants d’histoire-géographie en aient conscience afin d’amener les élèves à « connaître différents systèmes d’information, les utiliser » ; « trouver, sélectionner et exploiter des informations dans une ressource numérique » ; « identifier la ressource numérique utilisée » ; « utiliser des moteurs de recherche, des dictionnaires et des encyclopédies en ligne, des sites et des réseaux de ressources documentaires » ; « vérifier l’origine / la source des informations et leur pertinence » ; « exercer son esprit critique sur les données numériques, en apprenant à les comparer à celles qu’on peut tirer de documents de divers types ».
Nous ne pouvons que déplorer que les compétences des professeurs documentalistes soient ici dévoyées sans qu’ils soient même mentionnés. Une communication entre disciplines est nécessaire afin d’éviter ces dérives, notamment avec la technologie, tant, dans les nouveaux programmes, la décontextualisation de la culture numérique est criante. Il s’agit de comprendre et de respecter, dans la complémentarité, ce que chacun peut apporter, selon ses compétences, afin de dépasser la construction parfois artificielle de ces programmes.
En français, en classe de cinquième, l’entrée : «Avec autrui : familles, amis, réseaux » offre l’occasion d’apprentissages complémentaires, avec des apports du professeur documentaliste sur l’identité et les traces numériques, ainsi que sur l’utilisation des réseaux sociaux. En quatrième, l’entrée : « Informer, s’informer, déformer ? » invite à la collaboration afin de développer le recul critique des élèves sur les médias, mais aussi leurs compétences de publication, avec les savoirs infodocumentaires associés, alors que la naissance du journalisme quotidien et l’explosion de l’édition sont abordées en histoire.
Plusieurs notions maîtrisées par les professeurs documentalistes sont présentées sous ce thème : le type d’information, la source, la publication et l’éditorialisation, voire plus spécifiquement la rumeur et la désinformation. En troisième, enfin, l’entrée : « Se raconter, se représenter » conduit à retrouver les notions, évoquées en cinquième, d’identité et de traces numériques. Reste à imaginer des voies pour que deux enseignements complémentaires donnent aux élèves les clés de compréhension de phénomènes relativement nouveaux et en constante évolution.
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Beaucoup de possibles… mais peu de moyens
D’autres espaces collaboratifs sont ouverts. En arts plastiques et en éducation musicale, la question de la diffusion de l’œuvre se prête à une réflexion sur les modalités de publication en ligne, sur les évolutions du droit de l’information, sur les conséquences que peut avoir le fait de publier sur une plate-forme numérique ou une autre.
Les programmes d’Éducation aux médias et à l’information proprement dits peuvent donner des idées, en lien avec l’Enseignement moral et civique. Toutefois, nous regrettons le caractère peu opératoire de ce référentiel ÉMI, axé essentiellement sur des compétences procédurales, sans mention des notions à développer, ni le souci d’initiative de projet que l’on retrouve dans les autres disciplines. De ce fait, nous engageons les collègues professeurs documentalistes à se tourner vers le curriculum en information documentation proposé par l’APDEN pour développer des apprentissages qui, dans ce cadre, respecteront tout autant les axes de l’ÉMI.
La ministre de l’Éducation nationale a formulé le souhait que chaque établissement se dote d’un média scolaire, ce qui peut être un outil pédagogique intéressant pour nombre de projets, voire d’EPI associant professeurs documentalistes et autres enseignants, notamment de français, langues et enseignement moral et civique. En effet, le journal imprimé, la radio ou webradio, la webtélé, offrent des possibilités variées de développer, chez les élèves, des savoirs essentiels autour de l’information, tout en faisant appel à
leurs compétences écrites, orales, collaboratives, dans des travaux favorisant l’investissement de chacun.
Ces pistes sont loin d’être exhaustives, l’objectif étant, finalement, que chaque élève puisse suivre ces apprentissages en information-documentation selon des modalités riches et variées. C’est pourquoi il est essentiel que soient respectés les apports professionnels de chacun et que chaque domaine d’un projet soit clairement identifié, qu’aucun ne soit juste l’appui de l’autre. Car le développement des savoirs ne saurait se satisfaire d’approches accessoires.
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Au début du mois de juillet 2016, dans ce contexte délicat, le ministère de l’Éducation nationale a démarré un chantier pour une nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes, en remplacement du texte du 13 mars 1986. Les premiers éléments communiqués aux syndicats en septembre n’apportent pas d’évolutions positives, engageant même une régression historique pour la profession. Ainsi, pour l’heure, il ne s’agirait plus pour les professeurs documentalistes d’assurer une formation, mais d’y contribuer…
Ils ne deviendraient plus que pilotes d’apprentissages qu’ils ne mettraient pas en œuvre concrètement mais qui seraient donc développés par leurs collègues, selon des entrées disciplinaires d’une part, sans formation spécifique d’autre part.
Il n’en reste pas moins que c’est une première version, amenée à évoluer, de même qu’il faudra ensuite réviser la structure des apprentissages, notamment au collège, pour permettre aux professeurs documentalistes de simplement faire le travail dans lequel ils se sont engagés bien souvent avec passion, pour le développement d’une culture de l’information et des médias chez les élèves, qu’on ne permet pas actuellement.
Florian Reynaud,
président de l’APDEN