Quelle finalité pour quelle École ?
France Stratégie, organisme de réflexion, d’expertise et de concertation au service de l’État, vient de remettre son dernier rapport sur l’Éducation, intitulé : Quelle finalité pour quelle école ?
Plus qu’une étude des finalités actuelles de notre système éducatif, il s’agit pour le groupe d’experts de proposer des alternatives, d’autres voies pour l’éducation en France : si la réflexion a le mérite de présupposer que rien n’est jamais figé, qu’aucune politique éducative n’est immuable, les propositions avancée sont en elles-mêmes si radicales par leur logique systémique qu’on se demande en définitive si on n’en viendrait pas à préférer l’existant, même imparfait (mais perfectible), à ces projets séduisants mais quelque peu irréalistes. Serait-ce là le but réel de la commande ?
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Un constat sévère
Le constat est tout d’abord sévère : le système actuel est rigide, vertical et uniforme sur l’ensemble du territoire : mêmes programmes, mêmes moyens, mêmes enseignants, mêmes établissements. Cette égalité de traitement pour tous, garant officiel d’une neutralité de l’État, serait la forme illusoire d’une finalité méritocratique de l’École : chacun est censé avoir les mêmes chances d’accéder au plus haut niveau de qualification et aux positions sociales les plus valorisées.
Le souci de l’État serait finalement la formation des élites au terme d’études empilant des paliers à franchir. Ce but, plus implicite qu’avoué, conduit le système à certaines limites : trop de place accordée aux disciplines scolaires face à d’autres besoins qui pourraient émerger de la société civile. Trop de place accordée aux programmes, pas assez aux désirs et capacités des élèves. Trop de place à une pédagogie cloisonnée et individualiste au détriment d’une approche globale, collective des questions éducatives.
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Trois finalités pour l’école
Le rapport propose alors des visions alternatives qui ne sont en fait que le passage au premier plan d’objectifs jusque là tenus pour secondaires dans le système scolaire. Trois finalités de second plan étouffées par la course au mérite sont ainsi érigées en priorités et reconnues comme modèles : une école qui prépare au monde professionnel ; une école qui permet l’accomplissement de la personnalité ; une école qui transmet une culture commune.
• Le premier modèle est le plus éloigné de l’existant puisque la finalité de préparation professionnelle suppose un système entièrement repensé, hybride, associant acteurs de la sphère économique et sociale et acteurs traditionnels du système éducatif, système plus souple dans son fonctionnement, articulant le local et le national, les besoins spécifiques des territoires et les apprentissages fondamentaux, des compétences académiques et des compétences professionnelles. L’insertion sur le marché du travail est l’objectif auquel toute l’organisation est subordonnée, du recrutement des enseignants jusqu’à la progression des élèves.
• Le deuxième modèle reprend des alternatives éducatives bien connues fondées sur le souci de l’épanouissement personnel, de la socialisation, de l’émancipation, de l’initiative personnelle et des méthodes faisant la part belle au projet et à la liberté de choix de l’élève. La pédagogie s’en trouve bouleversée ainsi que l’organisation des études, l’autonomie des établissements, l’évaluation des acquis et le rôle des enseignants, plus proches de coachs que de professeurs traditionnels.
• Le troisième modèle semble le plus proche du système scolaire actuel puisque l’objectif est la transmission d’une culture commune. Le rapport insiste cependant sur la nécessité de bien penser les connaissances nécessaires à tous les élèves, donc de bien les hiérarchiser, de bien les sélectionner en vue de la formation d’un citoyen éclairé et cultivé et non en vue d’un système externe comme le marché de l’emploi. Cela suppose d’admettre des temps d’assimilation différents chacun, veiller à n’écarter personne, associer les familles à cette culture visée et préférer un socle commun de connaissances à des programmes rigides associés à des niveaux annuels.
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Une clarification des objectifs de l’Éducation nationale
Le groupe de travail reconnait le caractère un peu utopique des propositions avancées et admet que les alternatives présentées ont d’abord pour fonction de stimuler la réflexion et d’ouvrir le débat. La conclusion insiste sur les articulations possibles entre les modèles, ce qui relativise l’idée de finalité prioritaire.
En cette période préélectorale où les projets pour l’École sont nombreux, où les candidats publient leur vision et leur révision du système scolaire, ce rapport a le mérite de mettre les choses en ordre, de partir d’une réflexion sur la ou les finalités de l’École et d’ouvrir des pistes de réforme.
Loin d’être le rejet du système actuel que certains pourraient désirer trouver, cette étude est finalement l’analyse et la mise au clair des défis auxquels l’Éducation nationale est confrontée et qu’elle relève, qu’on le veuille ou non.
Pascal Caglar
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