« Qui va sauver l’école ? 10 questions pour 14 candidats », d’Emmanuelle Daviet et Sylvain Grandserre
Il va falloir se presser pour lire ce livre car le temps qui nous sépare de l’élection présidentielle est compté.
Présenter l’ouvrage comme une série de questions adressées aux candidats à la plus haute fonction nationale est une manière d’annoncer sa prochaine péremption (le 7 mai).
Ce qui serait injuste, car le livre, s’il affiche l’intention de coller à l’actualité, va plus loin qu’une enquête conjoncturelle, ainsi que le révèle son vrai titre : Qui va sauver l’école ?
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L’homme providentiel existe-t-il ?
Si ce thaumaturge devait se rencontrer parmi les candidats – ils étaient quatorze au moment de l’enquête, ils sont trois ou quatre de moins à l’heure où s’écrivent ces lignes, peut-être moins demain –, tous ceux que préoccupent les questions éducatives le porteraient en triomphe, couronné de lauriers, jusqu’aux marches de l’Élysée. Hélas, les connaisseurs du monde de l’enseignement, et même les profanes, savent que, en cette matière comme en d’autres, l’homme providentiel n’existe pas, et que les problèmes de l’école ne peuvent se résoudre ni par une imposition des mains ni par des paroles propitiatoires.
L’ouvrage est découpé en trois parties dont une seulement est liée aux circonstances de l’élection, celle qui a pour titre « Dix questions à quatorze candidats ». La troisième partie pose le même type de questions, mais à des institutionnels, que n’engagent pas l’échéance électorale imminente (parents d’élèves et syndicats enseignants). La première qui, finalement, s’avère la plus intéressante, est composée de « propositions pour repenser l’école » dues aux deux auteurs, Emmanuelle Daviet et Sylain Grandserre, et adressées successivement aux enseignants, aux parents, aux élèves, aux établissements, à l’Éducation nationale, aux collectivités territoriales.
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Des réponses souvent convenues
Si cette première partie est de loin la plus séduisante, c’est qu’elle tient la promesse de son titre et échappe à la prudence électoraliste (ou à l’incompétence) des candidats qui avancent, le plus souvent, des réponses fades, convenues, générales et finalement décevantes. À la première des questions (« Quel(le) écolier(e) étiez-vous ? »), la plupart des politiques interrogés se croient obligés de se présenter comme des esprits vifs, curieux, amoureux de l’école mais en même temps, un peu turbulents, voire rebelles. Sans doute l’image du cancre chahuteur ou du fort-en-thème boutonneux eût-elle risqué de faire fuir les électeurs.
Les autres questions sont plus pertinentes, mais elles appellent des réponses tout aussi banales et souvent identiques. Jugez de l’originalité et de la prise de risque : tous les candidats sont pour l’élimination de la violence, pour la lutte contre l’échec scolaire, pour le combat contre les inégalités, pour la recherche de l’excellence, pour la reconsidération du calendrier et des rythmes scolaires, pour la revalorisation du traitement des enseignants, contre la multiplication des réformes. Tous (à une exception près : le président sortant) sont favorables à un moratoire sur la suppression de postes.
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Quelques propositions pour repenser l’école
Dans cette source d’eau tiède, quelques gouttes, parfois, d’une liqueur revigorante : deux candidats de gauche militent pour le retour des IPES, réponse à la pénurie des vocations ; Villepin et Mélenchon se rencontrent pour préconiser une scolarisation (ou au moins une formation) jusqu’à 18 ans ; le même Mélenchon veut revaloriser l’enseignement professionnel (qu’il eut en charge dans un précédent gouvernement) ; deux candidates veulent changer le nom du ministère de l’Éducation nationale qui redeviendrait de « l’Instruction publique » (on voit bien en quoi une telle mesure peut espérer « sauver » l’école).
Hervé Morin (qui n’est plus candidat) plaide pour l’autonomie des établissements scolaires ; Christine Boutin (hors course elle aussi) veut remettre en cause le « dogme de la mixité » ; Éva Joly souhaite obtenir 25 élèves par classe ; Marine Le Pen, sans surprise, valorise la discipline et la sécurité ; Nathalie Arthaud, bien naturellement, veut « changer la société de fond en comble » avant de toucher à l’enseignement ; Corinne Lepage suggère le tutorat… Signalons au passage le courage de François Bayrou qui a récusé l’enquête estimant que la question de l’éducation « est trop importante et trop centrale pour [lui], pour être traité par un simple QCM ». Voilà qui fera avancer le débat.
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Une base de réflexion
Au total, rien de bien inédit, rien de bien révolutionnaire. Regret qui nous encourage à nous montrer attentif aux multiples propositions qui composent la première partie du livre. Tout n’y est pas convaincant, ni nouveau, ni réaliste, mais on trouvera de courageux engagements et un très roboratif socle de réflexion. Ces propositions, rappelons-le, proviennent de deux spécialistes de l’enseignement, Emmanuelle Daviet, journaliste et Sylvain Grandserre, enseignant. Décidément, l’école est quelque chose de trop sérieux pour être confiée aux politiques.
Yves Stalloni
• Emmanuelle Daviet, Sylvain Grandserre, « Qui va sauver l’école ? 10 questions pour 14 candidats », ESF éditeur, en partenariat avec France Inter, 176 p.