Qui-vive, de Valérie Zenatti :
en quête de soi dans un monde de chocs

L’héroïne du dernier roman de Valérie Zenatti vit dans son corps les chocs du monde présent : insomnies, perte du toucher, hypersensibilité. Elle part en Israël pour remonter aux sources et chercher la réconciliation.
Par Norbert Czarny, critique

L’héroïne du dernier roman de Valérie Zenatti vit dans son corps les chocs du monde présent : insomnies, perte du toucher, hypersensibilité. Elle part en Israël pour remonter aux sources et chercher la réconciliation.

Par Norbert Czarny, critique

Valérie Zenatti est notamment connue pour ses romans Quand j’étais soldate, puis Une bouteille dans la mer de Gaza (l’école des loisirs). Celui-ci, paru en 2005, et en partie utopique, prend une résonance très particulière depuis l’attentat du 7 octobre à Tel Aviv. Il partait notamment d’une journée ordinaire à Jérusalem, théâtre d’un attentat « moyen » : un kamikaze dans un café, six morts, deux jours d’info à la télévision.

Son adaptation au cinéma en 2011 par Thierry Binisti, avec l’autrice comme co-scénariste, sous le titre Une bouteille à la mer, a reçu le Prix national lycéen du cinéma, organisé par le ministère de l’Éducation nationale. Il peut être une piste pour évoquer l’actualité au Proche-Orient avec les élèves.

Publié par les éditions de l’Olivier en littérature générale, son dernier roman, Qui-vive, n’est pas de tout repos. Mathilde, la narratrice et héroïne, subit quelques chocs, et cherche une réponse à y apporter.

Entrechocs

Premier choc, qu’elle appelle un « passage aphone de l’Histoire » : la pandémie de Covid-19 de 2020 la rend insomniaque, produisant des effets sur ses perceptions et sensations. Son ouïe et sa vue deviennent plus sensibles, son toucher disparaît. Cela effraie son médecin, elle moins. Elle accorde une attention extrême à des détails, se trouve attentive à la plus banale des conversations dans un supermarché, une fois le confinement passé.

Un autre choc se produit en 2016 : Donald Trump est élu président des États-Unis, et Leonard Cohen meurt. Le décès d’un poète est souvent plus douloureux qu’un événement politique, aussi sinistre soit-il. Mathilde avait découvert le chanteur canadien dans une vidéo singulière de 1972, alors qu’il était en tournée en Israël. Il ne se sentait pas « décoller ». Or, « Dans la Kabbale, il est écrit que celui qui n’arrive pas à s’élever doit rester à terre ». Ce propos a produit ses effets : le chanteur a quitté la scène.

Mathilde se rend également compte que sa vie de professeure d’histoire-géographie ne suffit pas. D’autant qu’un autre événement vient perturber l’ordre des choses : le déclenchement de la guerre en Ukraine, avec l’agression de la Russie le 24 février 2022, vient rappeler que le continent européen n’est à l’abri de rien, et surtout pas du retour d’un passé violent. Sujet qui résonne fortement pour le personnage d’une autrice qui a traduit Aharon Appelfeld, écrivain né dans ces confins de la Bucovine et de l’Ukraine. Dans le faisceau des vivants, publié en 2019 par les éditions de l’Olivier, racontait leur amitié, et son voyage en ces terres de l’Est.

Autre choc pour la narratrice : son grand-père décède, et elle découvre, en vidant son appartement, un curieux manuscrit relatant l’histoire d’un violon fabriqué à partir d’un arbre. Nul ne savait que cet homme né en Afrique du Nord écrivait et qu’il connaissait le centre de l’Europe.

Où diriger ses pas

Mathilde part « vers l’inconnu, le coruscant peut-être ». Une phrase du Talmud qu’elle entendait enfant sans la comprendre prend soudain sens : « Agis d’abord, tu comprendras ensuite ». Elle entame une sorte d’enquête dont la première étape est un concert donné par Leonard Cohen en Israël. Le roman devient voyage. « La question de savoir qui j’étais ne m’habitait plus, devenue secondaire par rapport à celle de comprendre ce que je percevais, et savoir vers où diriger mes pas. »

La seconde partie du roman se déroule entre Tel-Aviv, la Galilée et Jérusalem. Elle est faite d’abord d’un flot de sensations intenses, comme si le passé déferlait par vagues, tissé de rencontres. Elle se remémore avec son cousin Raphy le moment de la découverte de Leonard Cohen et ses souvenirs à lui de la guerre du Kippour. Le choc des compagnons morts dans la surprise de l’assaut égyptien prend dans le présent une curieuse résonance. « Le pays, c’est devenu des blocs de gens qui ne veulent pas se parler, se crient dessus dans le meilleur des cas, et sont tous persuadés d’avoir raison. »

Mathilde en fait l’expérience lors de son périple. Les personnes qu’elle rencontre ont très peu en commun : Yoram, l’agriculteur qui vit dans un kibboutz du Golan, le chauffeur vivant en Cisjordanie, et Edna, qui lui confie son admiration pour le personnage d’Ève. « Elle veut de l’ambigu, des questions, de la douleur et des joies, elle a l’intelligence de désirer affronter tout ça. Elle étreint l’existence, tu vois. »

Mathilde traverse un pays complexe, contradictoire, parfois brutal dans ses réactions. « Tout ce qui se passe ici depuis trente ans m’évoque des plaques tectoniques où Dieu rencontre le populisme qui rencontre la frustration qui engendre la guerre ».

Le roman de Valérie Zenatti a, dans son écriture, dans ses rythmes, quelque chose qui tourbillonne jusqu’à provoquer l’étincelle attendue.

N. C.

Valérie Zenatti, Qui-vive, L’Olivier, 176 pages, 19,50 euros.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Norbert Czarny
Norbert Czarny