Reprendre des études pour reprendre sa vie en main : le lycée d'adultes de la Ville de Paris
« Je ne veux pas rester dans une case. »
« Les emplois auxquels je peux accéder sans diplôme ne m’intéressent pas. »
« La culture, c’est identitaire, ça m’aide à savoir qui je suis. »
« Je veux trouver une porte d’entrée. «
« Je veux retourner à l’école pour apprendre à écrire et à compter, je ne sais pas où m’adresser. »
Propos recueillis au
Lycée d’adultes de la Ville de Paris.
.Depuis 1980, le Lycée d’adultes de la Ville de Paris, dans le XIVe arrondissement, offre aux adultes qui souhaitent reprendre des études la possibilité de préparer le baccalauréat général, séries L, ES ou S. Né de la volonté politique parisienne en faveur de l’égalité des chances, il s’inscrit dans une longue tradition de formation en cours du soir [1] destinée aux adultes [2].
Un établissement unique
Dans sa vocation spécifique, le Lycée d’adultes constitue un établissement unique. Il comble en effet un vide éducatif [3] en offrant la possibilité aux adultes qui ont interrompu leur parcours scolaire, parfois depuis de longues années, de revenir aux années lycée en dehors du cycle normal de scolarité. Un des atouts du Lycée d’adultes réside dans son double dispositif (cours de jour et lycée du soir) qui donne la possibilité d’accéder à des enseignements complémentaires dispensés le jour, notamment en langue française et en langues étrangères.
Avec une entrée en seconde ou en première, la présence en cours, durant deux ou trois ans, de 18 h à 22 h chaque soir, et le samedi matin pour certaines classes, dont les Terminales, nécessite une forte détermination et une bonne dose de motivation. Assiduité, concentration, persévérance sont indispensables pour tenir. Il faut ajouter devoirs, leçons et révisions à son activité professionnelle et à sa vie personnelle et familiale.
Les motifs de l’investissement personnel fournis par le public de ce lycée trouvent leur ancrage dans la conscience d’un dommage subi malgré soi. Des difficultés ont empêché les études au moment habituel de la vie, d’où le souhait de repartir d’un bon pied. Cette décision, volontaire, peut s’accompagner d’appréhension, d’une certaine fragilité ou d’une perte de confiance en soi.
Il convient donc de faciliter le travail des « auditeurs » – terme utilisé pour le public des Cours municipaux d’adultes –, de les conduire à la réussite, sans détour, sans jugement, dans une atmosphère respectueuse, un rapport dénué de toute forme de domination, pour que chacun bénéficie des effets d’une considération retrouvée.
L’équipe du Lycée d’adultes de la Ville de Paris partage le même enjeu de réussite par le soutien, l’accompagnement, et l’encadrement dans un climat de bienveillance. Les professeurs, pour la plupart issus de l’Éducation nationale, participent activement à la vie scolaire, aident les auditeurs à surmonter leurs difficultés grâce à leur qualité d’écoute, leur savoir-faire dans l’adaptation des programmes et leur capacité à s’adresser à un public adulte.
L’occasion de reprendre possession de son parcours
Que l’on ait 20, 30, 40 ou 50 ans et plus, entrer au Lycée d’adultes de la Ville de Paris, pour préparer le bac, en seconde, première ou terminale – souvent pour les trois années consécutives – signifie reprendre possession de son parcours. Pour un adulte, saisir cette opportunité, c’est se lancer un défi à soi-même. D’abord, celui de l’acquisition de connaissances nouvelles et de l’effort intellectuel, pour découvrir de nouveaux savoir-faire en révélant ses propres ressources et en les développant.
L’obtention du baccalauréat général prouve bien une capacité à apprendre, une appropriation de connaissances, un travail intellectuel formateur et permet d’accéder aux études supérieures. D’ailleurs, si quelques auditeurs abandonnent, la plupart obtiennent leur diplôme et les deux tiers poursuivent des études supérieures.
Préparer le baccalauréat à l’âge adulte donne aussi l’occasion d’enrichir ses compétences comportementales et relationnelles par la confrontation au groupe et à l’altérité. La mixité intergénérationnelle, culturelle et sociale, caractéristique de ce public, a pour effet de dynamiser les classes tout en favorisant la solidarité et la citoyenneté.
La maturité des auditeurs contribue à créer une bonne ambiance, les plus âgés sont plus réceptifs et posés, ils rassurent les plus jeunes et rajeunissent à leur contact. Cet apprentissage de la vie en société oblige à respecter les règles de savoir vivre en groupe, à adopter des attitudes d’ouverture les uns envers les autres en laissant par exemple un espace de parole à chacun, et en s’empêchant de porter des jugements négatifs sur les autres afin d’éviter les rivalités ou les conflits.
Au fur et à mesure de la formation, les auditeurs se sentent plus solides, leur progression est source d’une authentique satisfaction personnelle, leur rapport au savoir et au groupe évolue et les rassure. Ainsi recréent-ils pour eux-mêmes des références internes et externes, prenant conscience de leur valeur grâce à des validations successives : résultats, appréciations, entraide, etc. En obtenant ce diplôme convoité et emblématique, ils ressentent leur appartenance sociale, après s’être sentis longtemps exclus.
Au cours de cette formation qui leur permet de se munir d’un socle de connaissances générales et d’une base solide et fondatrice, on observe que ce public reconquiert l’estime de soi et suffisamment de confiance pour se projeter dans une évolution future, professionnelle et sociale.
Au-delà, la plupart des auditeurs du Lycée d’adultes de la Ville de Paris vivent un processus de transformation. Grâce à une vision plus claire de leurs capacités intellectuelles et de leurs compétences et à une meilleure insertion sociale, ils se préparent à un changement plus ou moins radical dans leur évolution professionnelle et personnelle. Le baccalauréat s’inscrit dans leur devenir personnel qu’ils peuvent dès lors se réapproprier et infléchir.
Les lycées pour adultes :
des établissement qu’il faudrait créer dans toutes les régions de France
Les attentes des publics et l’expérience du Lycée d’adultes dans son double dispositif (cours de jour et lycée du soir) démontrent la nécessité de créer des établissements dédiés à la reprise d’études et proposant une variété de formations, et de validations à plusieurs niveaux, en mettant au premier plan l’appropriation de la langue française. Il est certain, à mes yeux, qu’une telle offre de formation apporterait une réponse face au désœuvrement, à l’isolement, au décrochage, et au désir d’être actif et de s’engager dans une trajectoire personnelle.
Au terme de huit années d’expérience au Lycée d’adultes, j’ai acquis la conviction qu’il faut impulser la création de tels établissements que l’on pourrait nommer « Pôles de reprise d’études » tant leur acronyme, PRÉ, paraît facile à utiliser et chargé de sens.
Ces PRÉ pourraient s’imaginer comme l’adaptation locale du Lycée d’adultes et s’enrichir de l’observation des micro-lycées et autres dispositifs de raccrochage, et surtout des réalisations étrangères.
En Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Suisse, des établissements similaires au Lycée d’adultes se répartissent sur tout le territoire offrant à tous la possibilité de reprendre des études et de préparer l’équivalent du baccalauréat. En général, il s’agit de lycées de jour qui ouvrent leurs portes aux adultes en fin de journée, dans lesquels les jeunes lycéens réalisent d’ailleurs combien ils ont intérêt à réussir dans leur parcours initial.
C’est dans de tels établissements que l’on pourrait enfin donner à tous, quels que soient l’âge, la culture ou la catégorie sociale, la même possibilité d’acquérir un socle commun de connaissances et de savoirs dont l’atout majeur est d’élever les esprits et de les relier.
L’idée n’est pas nouvelle. Elle était contenue et développée avec force et talent par Victor Hugo, dans son discours prononcé à l’assemblée constituante en novembre 1848 :
« Il faut allumer des flambeaux pour les esprits […]. Il faut multiplier les maisons d’études pour les enfants, les maisons de lecture pour les hommes, tous les établissements […] où l’on s’instruit, […] où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd [4]. »
L’actualité nous convainc trop régulièrement et cruellement qu’il est urgent de s’y atteler.
Françoise Noël-Jothy,
proviseure du Lycée d’adultes de la Ville de Paris
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[1] Les cours du soir trouvent leur origine en 1866 et la préparation au baccalauréat remonte à 1920.
[2] Les Cours municipaux d’adultes de la Ville de Paris touchent 28 000 bénéficiaires dans 140 lieux de formation : 138 écoles élémentaires et deux établissements dédiés avec des cours en journée et en soirée.
[3] Les autres dispositifs existants sont des alternatives au baccalauréat : diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), capacité en droit, validation des acquis de l’expérience (VAE). Les micro-lycées s’adressent aux jeunes jusqu’à 25 ans.
[4] Du péril de l’ignorance, Victor Hugo, « La petite collection » des Éditions du Sonneur.
• Lycée d’adultes de la Ville de Paris, 132, rue d’Alésia, 75014 Paris.
Métros Alésia ou Plaisance. Tél. : 01 45 41 52 44.
• Le site du Lycée d’adultes de la Ville de Paris.
• Juillet 2020 : Le Lycée d’adultes de la Ville de Paris recherche deux professeurs de français pour les cours d’enseignement commun en français dans deux classes de première : première A le mardi et le jeudi de 18 à 20h, première C le le mardi et le vendredi de 18 à 20h.
Si vous êtes intéressé·e, adressez votre CV et lettre de motivation à la proviseure : francoise.noel-jothy@paris.fr
Bien d’accord avec Norbert Czarny : le Lycée d’adultes porte un beau parfum d’utopie. Mais une utopie, n’en déplaise à l’étymologie, qui aurait trouvé un lieu où se réaliser, et même des lieux – en espérant que s’en ouvriront d’autres. D’autres lycées en effet, et non plus seulement les deux établissements dédiés et 138 écoles élémentaires – relevant de la Mairie de Paris, on le comprend, mais où doivent se poser quand même quelques problèmes de matériel, non ?
Le lycée d’adultes réconcilie TOUTES les générations avec le savoir en leur donnant à partager des bâtiments qui parfois trop en imposent. Et cela sur le principe qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre puisque TOUS les âges sont bons pour apprendre. Ce n’est pas faire injure, je l’espère, aux DAEU et VAE (qui ont leur logique et leurs modalités propres) que de trouver symboliquement forte l’idée que le Lycée d’adultes prépare au bac général – au VRAI bac, en un mot. Voilà bien une idée fédératrice, qui rassemble autour d’un examen emblématique, en le rafraîchissant en quelque sorte, en lui donnant une nouvelle aura hors du mode « L’aura, l’aura pas ».
Je n’adhère pas en revanche à l’idée du PRÉ : pourquoi créer un nouvel acronyme, qui banaliserait le concept et oublierait l’expression « lycée d’adultes » ? Le mot lui-même, qui nous vient d’Aristote, est partie intégrante de notre Histoire. Créé sous Napoléon qui en fit l’une des « masses de granit », à l’instar du Code Civil par exemple, le lycée est désormais l’une de nos plus anciennes institutions républicaines (un mien ami et collègue, professeur agrégé de Lettres classiques, se désigna toujours comme « instituteur de la République »…).
Qu’on nous laisse rêver à la « fabrique de citoyens » s’ouvrant à nouveau aux adultes qui la financent par leurs impôts, et que l’on nous épargne le « Pré » – sachant que tous les news magazines s’ingénieraient à titrer annuellement sur un classement des « Prés » de France, car l’homme est ainsi fait qui pense que l’herbe est toujours plus verte dans le Pré du voisin.
Excellente idée que cette proposition d’elargir l’experience de Paris aux regions.
Je suis certaine que beaucoup d’adultes se proposeront…
Toutes mes amities.
Liliane Leyrahoux ( ancien professeur)
On s’interroge sur l’utopie, sur les possibilités d’inventer, de créer du lien ou d’en recréer…En voici un bel exemple !