"Richard III", de Shakespeare, mis en scène par Thomas Ostermeier
Thomas Ostermeier a présenté à Avignon, après l’avoir monté à la Schaubühne de Berlin qu’il dirige, un Richard III qui sera de retour en France pendant la saison 2016-2017. La captation du spectacle est en ligne jusqu’au 13 octobre 2015 sur le site d’Arte.
Largement coupé, retraduit par l’écrivain allemand Marius von Mayenburg, le texte de Shakespeare n’a plus rien de la chronique historique mais il conserve une grande intensité dramatique.
Aucune des scènes les plus célèbres n’y manque et on entend même certains passages deux fois, en allemand d’abord, puis en anglais. C’est le cas du début : « Now is the winter of our discontent / Made glorious summer by this sun of York » et de la fin : « I shall despair. There is no creature loves me ; / And if I die, no soul shall pity me : / Nay, wherefore should they, since that I myself / Find in myself no pity to myself ? ».
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Un regard nouveau porté sur la conscience des hommes
Ce qui intéresse Ostermeier chez Shakespeare – dont il a monté Othello, Mesure pour mesure, Le Songe d’une nuit d’été et Hamlet – c’est bien sûr que la mort, l’amour, le pouvoir, toutes les grandes interrogations humaines sont présentes dans son œuvre ainsi que tous les registres, de la philosophie à la bouffonnerie et à la culture populaire des combats d’épée.
C’est aussi qu’un regard nouveau est porté sur la conscience des hommes ; à une époque où la mode était aux revenge tragedies, Shakespeare montrait avec Hamlet un héros incapable de se venger.
Le metteur en scène a choisi une scénographie inspirée du théâtre du Globe de l’époque élisabéthaine : porte centrale qui s’ouvre au fond, balcon au-dessus, large avancée de la scène tout près des spectateurs. Les personnages entrent par le fond ou surgissent parmi nous, en arrivant par la salle. Mais la scène, contrairement au Globe, n’est pas en bois. En demi-cercle, elle est recouverte de sable comme une arène, une piste de cirque où la sauvagerie des hommes se révèle. Au XVIe siècle en Angleterre, le même lieu servait aux représentations de théâtre et aux combats d’animaux.
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Richard III : un personnage renouvelé
Les percussions d’une batterie punk-rock rythment la violence des derniers soubresauts de la guerre des Roses, où les crimes d’une famille se retournent contre elle. Les malédictions de la vieille reine déchue, Marguerite, annoncent le meurtre du fils du nouveau roi, Édouard IV. Elle-même, dont le fils et l’époux, Henry VI, ont été assassinés, s’était cruellement réjouie de l’exécution du jeune frère de Richard et d’Édouard.
Avec la défaite des Lancastre sur le champ de bataille, on aurait pu croire la guerre civile terminée. Mais le combat se déplace en secret à l’intérieur de la famille victorieuse des York. C’est désormais contre ses frères et ses neveux que Richard lutte pour s’emparer du pouvoir.
De même qu’il avait inversé l’image romantique traditionnelle du personnage d’Hamlet en en faisant un gros garçon capricieux, Ostermeier tente de renouveler le personnage de Richard, qui devient un entertainer capable de faire du public le complice de sa noirceur, de sa soif du mal. Les fréquents monologues de Richard, et quelques improvisations, sont adressés au public dans un micro suspendu. Ce micro est son attribut, tout autant que sa minerve ou sa bosse.
Les malformations de son corps font de lui un monstre dans une cour élégante et festive. Un sentiment d’exclusion dans une période d’instabilité politique est un mélange explosif, selon Ostermeier. On voit Richard, dans une scène, manger des pommes de terre et du fromage blanc – allusion claire, pour les Allemands, au plat préféré de Hitler.
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La parole et l’épée
La parole, par le mensonge, les fausses promesses, la flatterie, est l’arme qui permet à Richard, en manipulant ses adversaires, en utilisant leurs ressentiments et leur ambition, de s’élever de crimes en crimes jusqu’à la couronne. Mais le micro figurera aussi, dans une belle image finale, son élimination.
L’épée, elle, est une arme vaine, elle ne lui servira qu’à tenter de chasser les fantômes qui assaillent sa conscience. Ostermeier fait remarquer que tous les meurtriers shakespeariens, même Macbeth, même Richard III, ont un moment de doute ou de mauvaise conscience, d’effroi face à eux-mêmes – sauf le Iago d’Othello.
Gaëlle Bebin
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• La captation du spectacle en ligne jusqu’au 13 octobre 2015 sur le site d’Arte.
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