Sabotage de Daniel Goldhaber : l’illégalité se dissout dans la légitimité
Le réalisateur américain Daniel Goldhaber porte à l’écran l’essai du militant écologiste suédois Andreas Malm, « Comment saboter un pipeline ». Ni brûlot ni agit-prop, sa fiction inspirée reprend les codes du film de braquage pour désigner de nouveaux bandits et de nouveaux Robin des bois.
Face à l’accélération du réchauffement climatique et à la lenteur des mesures prises par les pouvoirs publics, jusqu’où peut-on aller ? La fin peut-elle faire oublier les moyens ? Les actions écologistes (manifestations, blocages, pétitions, chaînes humaines…) sont-elles efficaces devant les défis qui s’accumulent ? Ce sont les questions que posait le géographe et militant écologiste suédois, Andreas Malm, dans son manifeste publié en 2020, Comment saboter un pipeline (éd. La Fabrique). Un ouvrage « si subversif » qu’il serait, selon le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre prononcé en juin dernier par le gouvernement français, à l’origine des désordres causés par les récentes luttes environnementales.
Détruire pour ne pas être détruit
Le réalisateur américain Daniel Goldhaber, ancien étudiant d’Harvard et auteur d’un premier long-métrage Cam en 2018, a fait le choix d’en figurer littéralement le titre à l’écran. Son film prend la forme d’une œuvre de fiction ; son histoire s’ancre dans le désert chauffé à blanc du Texas où une poignée de jeunes adultes, réunis par le biais des réseaux sociaux et d’idéaux et secoués par des tourments individuels, se retrouvent pour faire exploser un pipeline distribuant du pétrole sur l’ensemble des États-Unis.
Sabotage n’est ni un brûlot politique ni un film puisant aux artifices de l’agit-prop. Ses ressorts sont ceux du thriller dans lequel les bandits ont été remplacés par des activistes écologistes. On assiste, comme dans un film de braquage, aux préparatifs minutieux du coup dont l’enjeu n’est pas de faire sauter la porte d’un coffre-fort mais de faire exploser une conduite de pétrole pour secouer les consciences. Les hors-la-loi sont, par conséquent, des individus, jeunes de surcroît, qui n’opèrent pas pour leur propre compte, mais au nom de l’intérêt général.
À l’image d’un Robin des bois (qui fondait sa justice sociale sur l’usage d’une violence dont personne n’aurait idée aujourd’hui de s’offusquer), ces jeunes s’attaquent directement à la « pompe à phynance » qui sert les profits d’une élite aux détriments de la santé et du bien commun. Ils procèdent au « désarmement » de l’agresseur, pour reprendre la terminologie des Soulèvements de la Terre, et entendent ainsi protéger l’environnement de ce qui le menace vraiment. Ils répondent aux prédictions cataclysmiques des scientifiques, désormais admises par l’immense majorité, par la destruction de ce qui nous détruit. Témoins : ces enfants frappés de leucémies précoces dans leur cité industrielle…
Leur méthode d’action violente transgresse certes la morale, mais c’est précisément au nom de celle-ci, et du devoir de protection du vivant, qu’ils agissent. Foin de discours consensuels, les activistes de Sabotage prétendent se situer à la hauteur du choc annoncé. Absurde, simpliste ou simple bon sens ? Leur présent est le nôtre. Il nous regarde ; le futur jugera.
Un thriller haletant
Sabotage obéit à tous les codes du genre et soumet son récit à un suspense d’autant plus intense que le spectateur se sent vite en empathie avec le groupe. Non que le réalisateur en livre une image particulièrement séduisante, mais l’illégalité de leur geste se trouve vite dissoute dans la légitimité de la cause. L’on admire leur cran et l’on craint pour leurs vies. Ils n’ont aucune expérience d’attentat à la bombe. Leur activisme se limite jusqu’alors à la crevaison de pneus de quatre-quatre, avec message explicatif apposé sur les pare-brises.
Après repérage des lieux de l’action, chacun joue son rôle avec un sérieux incroyable, conscient des risques pour soi et pour l’opération. Un apprenti-chimiste est préposé à la confection des bombes artisanales (on y apprend au passage comment éventrer un airbag pour récupérer les pastilles d’azoture de sodium au service de la charge pyrotechnique). Tous doivent agir vite et avec prudence. Les obstacles sont nombreux, et il leur faut savoir déjouer la surveillance du site, de ses caméras, de ses drones, de ses gardiens et de ses ouvriers de maintenance.
Le climat de tension tire parti à la fois du dispositif narratif, de la géographie désertique et d’un mode de production indépendant. Les faibles moyens du film, forçant à un tournage rapide, épousent le jeu farouche des acteurs et l’esthétique directe, proche du documentaire, de la mise en scène, en accord parfait avec le propos militant du récit.
De courts flash-back, en contrepoint de l’action, jettent un éclairage sur les événements qui ont conduit les membres de la bande à se rebeller, à s’engager dans l’action violente, à passer du plaidoyer pour la sauvegarde de la planète à l’insurrection climatique. Au risque de disqualifier la cause défendue ? Pas si sûr. Surtout quand, à l’heure où il faudrait accroître le rythme des efforts, le président Emmanuel Macron lance, mi-mai, un appel pour faire une « pause » dans la réglementation environnementale européenne. De leur côté, les géants du pétrole amorcent une « discrète marche en arrière » (Le Monde du 2 juillet) en renonçant aux engagements annoncés en direction de l’environnement.
P. L.
Sabotage, de Daniel Goldhaber, film américain (1h44), avec Ariela Barer, Kristine Froseth, Lukas Gage, Forrest Goodluck, Sasha Lane, Jayme Lawson, Marcus Scribner, Jake Weary. En salles.