Sombres jours pour les profs
Une enquête de L’Autonome de solidarité laïque, publiée par Éric Debarbieux et Benjamin Moignard le 18 octobre, révèle que le climat scolaire s’est nettement dégradé en dix ans pour les personnels encadrants et enseignants. En pleine crise des recrutements, 51 % d’entre eux pensent à démissionner.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres
Une enquête de L’Autonome de solidarité laïque, publiée par Éric Debarbieux et Benjamin Moignard le 18 octobre, révèle que le climat scolaire s’est nettement dégradé en dix ans pour les personnels encadrants et enseignants. En pleine crise des recrutements, 51 % d’entre eux pensent à démissionner.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres
Si les enquêtes sur le climat scolaire et les victimations concernant les élèves sont assez médiatisées, celles portant sur les personnels enseignants ou encadrants sont plus rares. Ces derniers sont pourtant tout aussi sensibles aux questions de sécurité, de violence, de harcèlement, de qualité des relations, du dialogue, du bien-être au travail. Leur moral est aujourd’hui si bas, constatent Éric Debarbieux et Benjamin Moignard dans un rapport de L’Autonome de solidarité laïque paru le 18 octobre, que ces deux professeurs en sciences de l’éducation n’hésitent pas à parler de « climat de défiance ».
Premier enseignement de cette enquête réalisée sur un échantillon de près de 9 000 répondants : en dix ans, le climat scolaire s’est nettement dégradé, passant de 37,8 % d’insatisfaits à 50,7 %, avec des pointes à 56 % en lycées professionnels. Ce n’est pas la relation avec les élèves qui s’est détériorée, car elle est plutôt bonne d’après les enquêtés, mais la relation avec les adultes : parents ou administration.
Le sentiment d’être respecté par les élèves est très majoritaire chez les personnels interrogés (plus de 80 %), les violences ou agressions physiques d’enseignants sont extrêmement rares (moins de 2 % de victimes), les violences verbales sont plus importantes que lors de la précédente enquête du même type en 2013, mais stables (42 % de victimes), et les problèmes très variables selon les types d’établissement (avec un sentiment de malaise plus grand en éducation prioritaire).
La perception de terrain est donc à nuancer. Elle semble en tout cas bien loin de ceux qui agitent l’urgence de solutions radicales, comme des fouilles ou des détecteurs de métaux dans les établissements. Les agressions armées, si elles existent, restent fort heureusement exceptionnelles (0,4 %). De même, les violences liées à l’intrusion de personnes venues de l’extérieur dans les établissements sont extrêmement rares et rendent disproportionnées les solutions de super protections comme la vidéosurveillance.
Problème avec la hiérarchie
Plus significatif et plus inédit, l’effondrement de la qualité de la relation entre les adultes et la forte défiance envers la hiérarchie. 78 % des enseignants ne se sentent pas respectés par leurs supérieurs, en dehors de leur établissement (inspections, ministère). C’est très net depuis les réformes du lycée et du bac, progressivement mises en place en 2018 par Jean-Michel Blanquer, qui mécontentent plus des deux tiers des enseignants, alors qu’ils sont en première ligne pour les faire appliquer.
Les chiffres sur la détérioration des relations ont bondi en dix ans : ils ont désormais plus de 30 % des personnels à appréhender de prendre leur service, près de 50 % à ressentir une mauvaise qualité de relation avec le personnel de direction de l’établissement, et 40 % jugent même insatisfaisante la collaboration avec les collègues de leur discipline.
« Cela ne signifie pas que les chefs d’établissement sont devenus plus mauvais, a commenté Éric Debarbieux dans un entretien au Café pédagogique, mais que l’organisation place les cadres intermédiaires que sont les chefs d’établissement en position de ‘‘ sandwich ’’ entre une hiérarchie qui les charge – et les soutient peu, comme lors du Covid où les informations étaient données aux médias avant qu’elles ne leur arrivent –, et une base qui ne supporte plus le discours de la ‘‘ confiance ’’ ou encore de la bienveillance. »
Le harcèlement moral dont ils témoignent est plus souvent le fait de la direction et des institutions que des élèves ou de la population générale. Le malaise devant l’organisation scolaire est partagé par les enseignants comme par le personnel de direction, les uns comme les autres déplorant une « perte de sens » et une forme de « maltraitance politico-institutionnelle ». Elles viennent renforcer chez eux l’esprit de revendications, notamment salariales. Le dépit est devenu majoritaire, et si 30 % des enseignants songeaient à démissionner il y a di ans, ils sont 51 % aujourd’hui. La crise n’est pas seulement celle du recrutement, elle est aussi celle de l’attachement au métier, en d’autres termes de la vocation.
Nouvelles inquiétudes
Enfin, de nouvelles problématiques se font jour, notamment des inquiétudes de plus en plus partagées autour des questions de laïcité (53 % d’enseignants) et de respect des contenus d’enseignement. Ces inquiétudes pèsent sur le climat scolaire, s’observent à travers les injonctions faites aux élèves de modérer leurs propos sur tous les sujets de société qui exacerbent les tensions sociales : religions, racisme, xénophobie, LGBT phobie, théories du complot. Ces difficultés à contenir et rationaliser les propos des élèves s’expliquent pour une majorité d’enseignants par un sentiment de formation mal faite et sommaire, les laissant trop souvent isolés.
« Le drame du meurtre de Samuel Paty ne doit pas être un fait divers, c’est une tragédie », a tenu à préciser Éric Debarbieux dans son entretien au Café pédagogique pour prévenir toute tentative de « récupération malsaine, politique et parfois médiatique ». Samuel Paty est « une victime exceptionnelle d’une tragédie exceptionnelle et non pas le résultat d’une augmentation des violences faites aux personnels de l’éducation », a-t-il ajouté.
De pareilles enquêtes, réalisées régulièrement, permettent de mesurer des évolutions, des tendances de fond. La détérioration du climat depuis dix ans est telle qu’elle ne peut être imputée à des problèmes ponctuels et sans liens entre eux, comme le recrutement de nouveaux enseignants un jour, les relations interpersonnelles un autre jour, ou encore le non-respect du programme ou la formation des enseignants.
La crise de confiance que connaît l’Éducation nationale et dont témoignent les personnels exige un dialogue renoué au plus vite avec les plus hautes autorités du ministère et tous les représentants.
P. C.
Ressources
https://www.education.gouv.fr/climat-scolaire-et-prevention-des-violences-11918
Éric Debarbieux : « Le quiquennat Blanquer a été celui du repli sur soi », Le Café pédagogique, 19 octobre 2022.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.