Stop mépris, l’autre geste barrière
L’accumulation des signes fait sens. Si au début du confinement on a pu croire à une convergence retrouvée entre le ministère et le monde de l’éducation, plus le temps a passé, plus l’illusion s’est dissipée et plus la vérité refoulée a refait surface : le mépris abyssal dans lequel la rue de Grenelle tient les enseignants.
Ce mépris est tout sauf brutal. Il est insidieux et systématisé.
On vous félicite de la continuité pédagogique mais dans le fond votre travail n’a aucune importance et ne comptera pas dans les évaluations finales ; on vous félicite pour votre mobilisation mais on alerte l’opinion publique sur des professeurs-décrocheurs, on salue votre conscience professionnelle mais on salue surtout celle qui vous tourne en bourrique, vous faisant monter la garde devant des groupes variables selon les jours et les semaines, vous promenant avec masque et sans masque, vous octroyant récréation et enfermement, vous réglant et déréglant vos heures et jours de cours.
Et ce n’est pas tout.
Vous êtes précieux à la nation et votre métier est très sérieux, mais beaucoup d’autres peuvent le faire aussi bien que vous, artistes, journalistes, étudiants, éducateurs, bénévoles ; votre métier est une vocation mais on on peut très bien passer de vendeur chez McDo à professeur en L2 (voir ci-contre la publicité d’accès à la pré-professionnalisation), votre qualification est importante mais les concours de recrutement 2020 sont dénaturés et déstructurés, vos inspecteurs sont des experts incontournables mais on les tient à l’écart, et pour finir on ne titularisera pas ceux qui sont déjà en poste mais on se tournera vers le premier venu.
La crise du corona virus ne montre pas seulement que l’on peut enseigner autrement (comme le débat sur le numérique et le distanciel le médiatise à outrance) mais insinue qu’on peut enseigner (voire diriger un établissement) avec d’autres qualifications. Cette malencontreuse publicité officielle pour la pré-professionnalisation des étudiants, qui l’espace d’un jour invitait les jeunes à passer du cool de chez MC Do au cool des classes de collège livrait inconsciemment la vérité des attentes du ministère en matière de profil enseignant :
« Venez comme vous êtes. »
C’est-à-dire sans formation particulière, sans goût particulier pour une discipline et sa transmission, sans estime particulière pour le métier.
Il est temps que chacun comprenne que ce souci officiel de l’éducation des enfants, qui se manifeste si complaisamment de prise de parole médiatique en prise de parole médiatique, se situe à un autre niveau que celui du nombre, nombre de lavabos, nombre d’élèves, nombre de professeurs, nombre de jours de classe avant le 4 juillet : il se situe au niveau du respect du métier d’enseignant par ceux qui ont charge de le protéger, de le conserver et de le cultiver. Et pour cela il est temps d’en finir avec l’ambiguïté des signes.
Pascal Caglar
Voir sur ce site :
• Éducation : retour au monde d’avant ? par Alexandre Lafon.
• Vers un aggiornamento scolaire ? par Alexandre Lafon.
• 11 mai 2020 ? C’est dès maintenant que la classe est à réinventer ! par Gabriel Berrier.
• Opération « École apprenante » ? À voir…, par Pascal Caglar.
• Comment repenser la formation des enseignants après le confinement ?, par Antony Soron.