Un "Lépine de l’Éducation" ?
Chaque année, début mai, les projecteurs se braquent sur le concours Lépine…
Notez qu’il y a de quoi : une machine qui cuit et vend du pain (prix 2014), une ceinture fitness anti bourrelet, un pouf ludique et astucieux, une bouillotte-sac à dos pour peluches, un gobelet de voyage étanche sans couvercle, un épluche-ananas révolutionnaire, plus de cinq cents inventeurs en compétition : ça bouge en France, ça bouge et ça bouillonne.
Cela dit, d’une autre manière, moins visible et moins médiatisée, ça bouge et ça bouillonne aussi dans les collèges et lycées de France où les projets pédagogiques originaux, les actions expérimentales inédites, les essais d’un enseignement autre sont eux aussi en nombre croissant et mis à l’honneur une fois par an lors des journées nationales de l’innovation.
La dernière en date eut lieu le 27 mars 2014 dans le grand auditorium de la Bibliothèque de France.
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Six grands prix
Six grands prix furent décernés pour une sélection de trente projets eux-mêmes retenus parmi les quelques cinq cents actions pédagogiques soutenues et accompagnées durant l’année par les CARDIE de chaque académie. Ces CARDIE – cellules académiques en recherche, développement, innovation et expérimentation –, n’ont cessé de monter en puissance depuis leur création en 2005 et sont désormais des pièces maîtresses du plan « Innover pour refonder ».
Leurs missions et leurs actions sont d’ailleurs présentées sur deux sites : Expérithèque, la bibliothèque nationale des innovations et expérimentations pédagogiques et : Respire, le Réseau d’échange des savoirs professionnels en innovation, recherche et expérimentation.
Les domaines dans lesquels les projets et initiatives individuelles (un enseignant) ou collectives (enseignants et personnels d’encadrement) sont particulièrement recherchés sont au nombre de onze, qui balaient l’ensemble des problématiques actuelles : apprentissage, évaluation, numérique, décrochage, ouverture européenne, sciences, arts et culture, climat scolaire, filles/garçons, parents, temps scolaire.
Le top 30 des actions innovantes
Les trente projets sélectionnés en 2014, aux descriptifs à retrouver dans le Cahier du top 30 des actions innovantes, proposent des pistes intéressantes concernant des questions jusqu’ici abordées de manière plus théorique, voire plus idéologique que pragmatique : il s’agit plus particulièrement :
1. de l’évaluation, évaluation positive ou évaluation sans notes qui, à l’entrée au collège, dédramatise les apprentissages et renforce la mise en confiance des élèves en difficulté (collège de Baretous, académie de Bordeaux, collège Gérard-Philipe, académie de Poitiers) ;
2. de l’apprentissage appuyé sur les nouvelles technologies : « mobile learning » au lycée Jules-Guesde de Montpellier, aide au devoir en ligne au collège Blaise-Pascal, académie de Clermont-Ferrand, « gamification classe » au lycée Giraux-Sannier, académie de Lille, MP3 pour personnaliser les parcours, au collège Château-Rance, académie de Besançon ;
3. de l’aménagement du temps scolaire, avec des assouplissements des heures de cours : séances réduites et accompagnement renforcé au collège de Baretous ou au collège Jean-Monnet, académie de Limoges, prise en compte des variations attentionnelles au collège Jacques-Decour, académie de Tours.
Des laboratoires où s’élaborent les pédagogies de l’avenir
Ces expérimentations sont des laboratoires où s’élaborent les pédagogies de l’avenir. Ainsi l’heure de cours peut avantageusement être raccourcie au collège, l’objectif de la séance pouvant être atteint en 45 ou 50 minutes, et le temps ainsi dégagé et accumulé pouvant se convertir en temps d’accompagnement personnalisé.
Les fameux débats sur les rythmes scolaires devraient commencer par se pencher sur les rythmes journaliers de la concentration et concéder une extrême liberté d’aménagement des emplois du temps aux établissements. Les pédagogies du projet, travaux à l’initiative partagée entre enseignants et élèves, sont nettement plus efficaces que les constructions systématiques des séquences qui verrouillent les apprentissages.
Là encore la rigidité des programmes et l’uniformité de leur mise en œuvre didactique est un frein à la motivation et au développement des élèves qui sont capables d’apprendre bien au-delà des objectifs listés dans les instructions officielles à condition d’être associés à des recherches articulées autour de projets.
Enfin, et c’est une évidence, les nouvelles technologies recèlent un important potentiel d’applications pédagogiques plus attractifs et plus souples pour les élèves que les seuls outils traditionnels utilisés en classe : on peut aujourd’hui travailler ensemble hors de la classe, à distance, tout en étant restant sous contrôle d’un enseignant.
Des pédagogies libérées et pragmatiques
Certaines académies comme celle de Lyon ont créé récemment des « labels établissement innovants » et des « labels équipe innovante ». C’est le début d’une reconnaissance et d’une valorisation de ces pédagogies libérées et pragmatiques qui rencontrent encore trop de méfiance et de résistance aussi bien du côté des parents, mal informés, que du côté des enseignants, attachés aux méthodes consacrées.
Ce n’est pas à un principe d’éducation idéale qu’il faut s’adonner, mais se soumettre au principe de réalité : le terrain, les élèves, l’environnement, les conditions d’enseignement constituent ce que Clément Rosset appelait le principe de cruauté, cette réalité que l’on veut ignorer, affaiblir ou embellir et qui s’obstine cruellement à nous rappeler ce qu’elle est, incontournable.
Pascal Caglar
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• Les trente actions sélectionnées parmi cinq cent trente présentées.
• Les six prix nationaux de l’innovation.
• Consulter les Archives littéraires et pédagogiques de « l’École des lettres ».