Un métier sérieux, de Thomas Lilti :
bande de profs
Par Inès Hamdi, professeure de lettres
Un jeune doctorant (Vincent Lacoste) est propulsé enseignant dans un collège. Après son triptyque médical (Hippocrate, Médecin de campagne, Première Année), Thomas Lilti quitte les salles de soins pour les salles de classe. Au fond, que soignent et qui soignent les professeurs ?
Par Inès Hamdi, professeure de lettres
Entre remaniements ministériels, désaffection pour le métier et publication de témoignages d’enseignants démissionnaires, la rentrée s’effectue sous un jour un peu tendu. Un métier sérieux, qui sort au cinéma ce 13 septembre, offre un contrepied apaiséà l’agitation. De la même manière que pour ses œuvres sur le milieu médical – Hippocrate, Médecin de campagne, Première Année –, Thomas Lilti passe par la fiction pour interroger le réel. Sa comédie chorale présente unetypologie élargie de situations plus ou moins fortes, plus ou moins absurdes, auxquelles une équipe d’enseignants, presque une bande de profs, se trouve confrontée.
Il n’existe ni manuels ni formations type pour « gérer l’humain », c’est un apprentissage de terrain comme l’illustrent des séquences aussi fourmillantes qu’assourdissantes. Thomas Lilti invite sa caméra dans les salles de classe. Et les professeurs, les élèves, leurs proches, débordent du cadre. En effet, l’une des réussites du film réside dans la manière avec laquelle le réalisateur s’attache à capter les gestes enseignants, de transmission, mais aussi de formation, car il ne se limite pas à la seule dynamique enseignants-élèves.Les professeurs eux-mêmes sont encore face au défi de l’apprentissage.
Les profs en contrôle continu
Jeune doctorant catapulté remplaçant pour les besoins d’une école en manque d’enseignants, Benjamin (Vincent Lacoste), sans repères pédagogiques aucun, est en échec lors de ses premiers cours. Il fait le choix désastreux du cours magistral : le tableau vomit d’informations sans aucune logique progressive. Les élèves se perdent et s’endorment. Comment apprendre à apprendre à apprendre?
Ses collègues expérimentés ne sont pas épargnés non plus par le risque de la défaite : le doyen, Pierre (François Cluzet), enseignant de français, trouve son allégorie dans sa Safrane, une vieille voiture jamais en panne dans laquelle il trimballe qui veut jusqu’au RER (pour éviter le bus avec les élèves). La peur d’ennuyer ses élèves ne l’a jamais autant tenaillé.
Ses collègues plus jeunes sont plutôt concentrés sur la gestion de classe. Comment faire autorité lorsque celle-ci ne va pas de soi ? Sandrine (Louise Bourgoin), enseignante de SVT, confie à Benjamin une cassette VHS qui préconise de poser deux doigtssur la tableet vieillir son allure. Recette qui la dessert plus qu’elle ne lui profite. Mais peut-on le reprocher à des professionnels qui tentent d’exercer comme ils peuvent en rassemblant des bouts de ficelle ? Thomas Lilti a la délicatesse de ne pas proposer de solution miracle.
À bout de souffle ?
La focale sur des situations s’effectue au détriment de la narration. Si la solidarité et le groupe constituent le fil narratif principal d’Un métier sérieux, les personnages s’effacent derrière les scènes qu’ils doivent jouer. Au hasard, cette enseignante (Lucie Zhang) qui partage son abattement face à ce qu’elle perçoit comme de la malveillance de la part de ses élèves. Son statut de jeune mère débordée semble fragiliser son équilibre professionnel et mental. William Lebghil injecte son flegme naturel dans son personnage de professeur d’anglais sympathique mais qui ne semble exister qu’à travers son métier. Il se réveille et dort au collège dans un logement de fonction marqué par les fantômes d’une relation amoureuse victime de ce métier vampirique. On n’en saura pas plus car son statut de comic relief finit par reprendre le dessus.
Envahissantes, les bonnes intentions finissent par emporter l’adhésion d’un spectateur soulagé, comme Benjamin d’arriver à rire alors qu’il traverse un champ de mines. Le film suit la structure d’un cycle scolaire, d’une rentrée à l’autre. Il y puise son rythme singulier. Les temps forts, comme la violence d’un conseil de discipline ou la gestion balbutiante d’un exercice de sécurité, sont relayés par les rituels et les jeux de ces adultes restés à l’école : la cantine et le jour béni des frites, la soirée entre collègues pour décompenser dans un autre genre qu’en salle des profs. Comme dans ses précédentes œuvres, Thomas Lilti parvient à maintenir l’équilibre entre rire curateur et tension dramatique.
Entre le domaine médical et le milieu scolaire, des passerelles se dessinent et des problématiques se recoupent. Comment garder du recul quand on exerce une vocation qui exige tant de don de soi ? Comment conserver la vitalité et le dynamisme nécessaires à ces métiers de l’humain lorsqu’on est en prise avec la rigidité de ses structures administratives ? Le réalisateur, qui puise autant dans son expérience de médecin que dans celle de ses proches enseignants, tente de dépasser le pessimisme d’un état des lieux préoccupant pour travailler la nuance.
Pour Thomas Lilti, le salut se trouve dans la solidarité de groupe et de corps. Sandrine, cette enseignante à terre, sera relevée par ses collègues. D’autres, à bout de forces, comme William Lafleur, ex-Monsieur Le Prof, quittent le navire et l’uniforme de cet « Ex plus beau métier du monde[1]». Difficile de leur en vouloir. Au-delà du constat et des dénonciations, Un métier sérieux est un formidable hommage à la vitalité de ces enseignants aux ressources inépuisables. Cette vitalité qui les incite, comme Sisyphe, à pousser leur rocher au sommet de la montagne sur lesquels les élèves les attendent.
I. H.
Un métier sérieux, de Thomas Lilti, film français (1h41) avec Vincent Lacoste, François Cluzet, Louise Bourgoin, Adèle Exarchopoulos, William Lebghil, Lucie Zhang, Théo Navarro-Mussy… En salles le 13 septembre.
Note
[1] Cet ancien professeur d’anglais a démissionné au bout de 12 ans de ce que l’on peut qualifier de maltraitance institutionnelle. À partir de son expérience personnelle et de nombreux témoignages d’enseignants, Flammarion a publié à la rentrée un essai exhaustif sur l’essoufflement du système qui pousse ses éléments vers la porte de sortie.
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