"Ma vie de Courgette", de Claude Barras, scénario de Céline Sciamma
Un film d’animation propice à une liaison CM2/sixième
S’ouvrant sur un fait divers, le scénario du dernier film d’animation de Claude Barras, réalisé d’après le roman de Gilles Paris (Plon, 2002), emprunte à la fois les voies du roman d’initiation et celles de l’enquête documentaire.
Un petit garçon, Icare, surnommé Courgette par sa mère, alcoolique et violente, est placé dans un foyer d’accueil après le décès de cette dernière.
Alors que le titre même du film, Ma vie de Courgette, tout comme son affiche, auraient pu laisser prévoir un film à tonalité puérile, dès son entrée en matière, il s’ouvre sur la souffrance enfantine et sur les processus de placements temporaires ou définitifs des enfants orphelins ou éloignés de leurs parents par décision de justice.
Un traitement ludique de thèmes graves
Avec une classe de cycle 3 on travaillera avant le visionnage du film sur le titre et l’affiche pour amener les élèves à décrire ce qu’ils imaginent de l’histoire. L’exploitation pédagogique de Ma vie de Courgette peut se faire dans les classes de CM2 ou de sixième. La gravité des thèmes abordés – comportements déviants des adultes et maltraitance des enfants –, peut s’inscrire dans le cadre de l’axe des nouveaux programmes, « Se découvrir, s’affirmer dans le rapport aux autres » propre à la classe de CM2. Ce film constitue par conséquent un support inter-degrés idéal pour faire travailler ensemble des élèves de CM2 et de sixième.
La méthode de réalisation de Ma vie de Courgette revendique pleinement les ressorts du film d’animation. Au lieu d’opter pour un dessin réaliste, Claude Barras choisit de mettre en mouvements des figurines : ces dernières étant à chaque fois photographiées pour que la succession des images donne l’illusion d’un déroulement. Cette pratique du stop motion recoupe celle du flip book où l’action de tourner les pages donne l’impression de la continuité du dessin. Il s’agit là sans aucun doute d’un enjeu esthétique majeur du film. Enjeu que le travail en classe, consécutif à la projection, pourra mettre en perspective à partir de la question : quel est l’intérêt de raconter au spectateur une histoire aussi triste par le biais de figurines ?
Il y a fort à parier que les élèves, comme cela a été le cas, de façon spontanée, à la suite d’une projection récente, iront à l’essentiel : Ma vie de Courgette est à la fois un film émouvant et drôle, qui questionne et qui divertit. La fiction parvient en effet à transmettre les émotions des personnages sans briser l’enjeu documentaire. En privilégiant le point de vue des figurines enfantines, le film informe sans pourtant verser dans un misérabilisme pesant. Corrélativement, l’artifice de l’animation joue pleinement son rôle, mettant en mouvement, en couleurs et en sons la profondeur de la vie intérieure des enfants meurtris.
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Un film poétique qui interroge
Les plans du film bénéficient d’un cadrage serré, chaque image dévoilant une réelle densité informative. Ainsi, lorsque Courgette est entendu par le policier, le spectateur peut lire le procès-verbal de son témoignage qui dévoile les causes du décès de sa mère. Le personnage de Simon, quant à lui, le pseudo caïd de la bande des enfants recueillis, est traité avec tout autant de pudeur. Sa méchanceté apparente reste en effet plus feinte que profonde. Pariant sur l’intelligence du spectateur, Claude Barras n’alourdit pas son propos d’une perspective didactique et/ou moralisante.
Au cours du travail sur le film, on s’interrogera sur les enjeux du point de vue adopté. Une question simple pourra aiguiller la réflexion collective : par quels yeux le spectateur voit-il l’histoire ? Fidèle à la perspective de l’« œuvre ouverte » chère à Umberto Eco, le réalisateur laisse au spectateur un vrai espace de questionnement et d’interprétation. Pendant la projection les enfants réagissent sur le plan émotionnel mais s’interrogent aussi à haute voix sur les situations qui s’enchaînent selon une logique dramatique. Cette stratégie narrative implicite reste très efficace, en particulier pour toutes les scènes impliquant la mère, avant qu’elle ne meure.
Le spectateur reste sur le seuil du salon avec Courgette ; il ne fait qu’entrevoir l’écran de télévision par lequel elle est obnubilée. Toutefois, suffisamment de signes, notamment l’amas des cannettes de bière autour du fauteuil, permettent d’envisager la situation de cette maman solitaire et déprimée.
D’une manière plus générale, Claude Barras parvient à trouver un juste équilibre entre le surgissement de scènes poétiques et de situations réalistes. Ainsi, lorsque Courgette voit pour la première fois Camille, deux très gros plans isolent leur visage respectif afin de mettre en relief la sidération romanesque propre à la première rencontre amoureuse, tandis que, juste après, la tante de Camille gifle la jeune fille, signalant le retour à l’ordre réaliste.
La poésie qui s’exprime dans Ma vie de Courgette n’est jamais une fuite hors de la réalité, c’est au contraire une perpétuelle demande d’amour. Cette dimension poétique du film semble manifeste avec le dessin du père absent en Superman. Le film ne donne aucune explication complémentaire sur la disparition de ce personnage.
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Des histoires singulières dans une histoire
Si le film est centré sur le personnage de Courgette, il ne raconte en rien un destin solitaire. D’une façon extrêmement subtile – qui questionne d’ailleurs la notion même de « vivre ensemble » – il met en perspective la reconstruction d’une micro-société enfantine. Les scènes de groupe sont intéressantes car elles évoluent et la disposition des personnages dans le cadre révèle leur proximité ou leur amitié. L’entrée de Courgette dans la salle de classe présente des enfants séparés les uns des autres et contraste violemment avec la photo de classe.
La scène de repas d’Halloween avec les enfants déguisés en monstres donne quant à elle à voir leur camaraderie mais aussi corrélativement leur sentiment d’inadéquation au monde extérieur. Chaque enfant n’a-t-il pas son histoire, son corps singulier et sa voix propre ? Enfin, on remarquera que les scènes de basculement de la solitude à l’esprit de communauté – et inversement – sont ponctuées par le retour d’un motif : celui de la main tendue, touchée, ratée ou tout au contraire capturée.
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Des dessins d’enfants primordiaux
Les premiers dessins apparaissent dès le début du film, sur les murs de la chambre de Courgette. Ils caractérisent l’imagination du personnage tout en donnant une fonction au geste graphique de l’enfant. Ici encore, il pourra être intéressant d’interroger les élèves sur la fonction d’un dessin pour eux : ne permet-il pas d’imaginer ce qui manque à la réalité ? Ne donne-t-il pas une possibilité de libérer ses sentiments ?
Ils remarqueront sans doute la présence sur un des murs du foyer d’une météo des émotions des enfants, avec des représentations naïves d’un soleil, nuage ou orage. De ces dessins d’enfants à l’esthétique dessinée de l’œuvre, on retrouve une des constantes du film : les émotions sont montrées frontalement sans passer vraiment par le langage. Elles se transmettent à travers les silences et les regards. Celui de Courgette est le plus souvent baissé. Ce regard en ligne de fuite, tout comme tous les regards croisés qui ne se rencontrent pas, permettent de suggérer la solitude et le malaise de l’enfant.
Néanmoins, ce film inventif à souhait donne à espérer. Il y a en effet quelque chose de jubilatoire dans l’histoire d’un personnage qui, après avoir rencontré la mort sur son chemin, découvrira l’amour ainsi que l’affection d’un père adoptif. Il sera ainsi intéressant, après l’analyse proprement dite du film, de demander aux élèves de dessiner eux-mêmes, à partir de la mémoire qu’ils en ont, la séquence filmique qui les a le plus marqués en justifiant par écrit leur choix. La créativité du film de Claude Barras gagnera ainsi à être prolongée par celle des spectateurs.
Jean-Marie Samocki et Antony Soron
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• « Ma vie de Courgette », de Laude Barras et « La Tortue rouge », de Michael Dudok de Wit, sont nommés aux Oscars 2017.