Voyage littéraire au Pays basque
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)
Le Pays basque attire voyageurs et écrivains épris d’authenticité et d’exceptionnel. Mais c’est Pierre Loti, marin et écrivain qui en ressent le plus l’âme, s’en imprègne, s’y établit et ne cesse dans sa vie et ses œuvres d’en célébrer les coutumes, les façades, les paysages et les rivages.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)
Bien des régions, des villes et des lieux tirent leur réputation d’auteurs ou d’artistes qui les ont découverts, fréquentés, célébrés et finalement popularisés. Le Pays basque n’échappe pas à cette histoire de rencontres, coups de foudre et adoptions. Le récit de voyage, né avant le tourisme, lié d’abord aux pèlerinages, commerces, découvertes ou conquêtes, accompagne la naissance du « grand tour » de l’aristocratie européenne du XVIIIe siècle (notamment anglaise) tournée vers la culture, le passé et l’exotisme. À ce titre, le Pays basque attire voyageurs et écrivains épris d’authenticité et d’exceptionnel.
Le XIXe siècle, entre idéologie romantique et développement des chemins de fer, est le premier véritable siècle des voyages d’agrément pour amateurs de culture (ancienne) ou de nature (nécessairement sublime). La montagne et ses sommets excite les rêves et les sensations fortes bien avant l’océan et ses tempêtes, et, tout comme les Alpes, les Pyrénées attirent les voyageurs en mal de paysages « romantiques », c’est-à-dire, élevés, escarpés, effrayants et grandioses. Les Alpes connurent Rousseau, Stendhal ou Daudet ou Dumas, les Pyrénées à leur tour sont très vite visitées par Hugo, Gautier ou Mérimée.
Pour autant, les premiers auteurs-voyageurs ne font que traverser le Pays basque, faisant étape à Bayonne ou Biarritz puis franchissent les Pyrénées pour arriver au plus vite en « Orient », car on se plaisait à reconnaitre l’Orient dès l’arrivée sur le sol espagnol. L’attrait de la montagne était tel que nul n’arrêtait sa vue sur le pays basque lui-même, la terre basque, sa campagne et ses monts, ses forêts et cours d’eau, ses villages et hameaux, ses traditions et son folklore.
Hugo voyageur peut admirer Biarritz, il cherche moins à connaitre ce pays, pourtant arrière-plan de son roman L’Homme qui rit (1869), qu’il ne s’est intéressé à l’histoire des îles anglo-normandes, toile de fond des Travailleurs de la mer (1866). Pour lui, c’est une terre un peu dangereuse, refuge de marins intrépides, un peu brigands, un peu contrebandiers, aux mœurs grossières, plus espagnols que français. De toute évidence, son regard reste tourné vers l’océan, son grand et principal sujet.
Les bains de mer et leurs vertus se retrouveront cependant à l’origine du développement aristocratique de Biarritz, porté par l’engouement d’Eugénie de Montijo et le faste brillant de Napoléon III. Enfin, un peu plus tard, Edmond Rostand lui-même, venu pour une cure thermale à Cambo-les-Bains, tombe sous le charme du Pays basque et décide de s’y faire construire une maison, Arnaga. Celle-ci n’aura cependant rien d’authentiquement basque, ne serait-ce qu’à voir son parc à la française et son jardin dans le style Louis XIV.
Bakhar etchea, la maison du solitaire
Le seul et le premier à vraiment aimer cette terre, à en ressentir l’âme, c’est Pierre Loti (1850-1923). Il s’en imprègne d’y acheter une maison, à Hendaye : Bakhar etchea, la maison du solitaire. Il y épouse une femme basque Crucita avec qui il a trois fils.
Pierre Loti fait partie de ces écrivains, célèbres de leur vivant (il fut académicien) puis peu à peu devenus de second ordre parce que leur oeuvre n’aura peut-être pas su dépasser les goûts de leur temps. Charentais (né à Rochefort), marin, militaire de profession, en mission sur toutes les mers du monde, Julien Viaud de son vrai nom reçoit le surnom de Loti à Tahiti. Inspiré à la reine Pomaré par une fleur tropicale locale, il deviendra son nom de plume.
Pierre Loti prend à plus de quarante ans un poste de commandant d’un navire militaire, le Javelot, à Hendaye, et pour la première fois de sa vie, lui le voyageur aux quatre coins de la terre, éprouve un sentiment de sérénité, d’éternité au contact de mœurs qu’il ressent comme arrachées au temps.
Toute sa vie, l’écrivain tient un journal qui lui sert de source et de documentation pour la plupart de ses œuvres, récits de voyage, journal ou romans. Le principe quasi invariable de ses œuvres réside dans l’alliance d’une histoire sentimentale et de l’étude d’un milieu exotique, servant de cadre à l’intrigue amoureuse. Ainsi fonctionnent Le Roman d’un spahi (mariage d’un Français au Sénégal), Madame Chrysanthème (mariage d’un Français au Japon), Aziyadé (aventure amoureuse en Turquie), Pêcheur d’Islande (mariage en Bretagne) et, pour le Pays basque : Ramuntcho, histoire d’amour entre deux jeunes basques, Gracieuse qui deviendra nonne, et Ramuntcho qui partira « aux Amériques » après une séparation due au service militaire.
Peinture des lieux pris pour cadre
La force et l’originalité de Loti ne proviennent pas de ses intrigues mais de la peinture des lieux pris pour cadre. Dans Ramuntcho, le personnage le plus original, celui qui va charmer l’esprit des lecteurs, le véritable sujet du livre est le Pays basque lui-même. Pierre Loti le décrit sous tous les angles, maisons, traditions, paysages, fixant alors les cartes postales qui constituent l’image touristique actuelle. La Rhune, ce sommet si célèbre, est constamment sous les yeux des protagonistes. Les chemins des contrebandiers tissant un réseau de circulation jusqu’à la fameuse Bidassoa annoncent les sentiers de randonnées sillonnant l’arrière-pays. Ascain ou Sare, villages si typiques, se reconnaissent derrière le bourg fictif d’Etchezar. Loti change lui-même les noms des lieux pour éviter que son roman ne les rende trop touristiques. Mais les hommes en béret ou espadrilles, les femmes pieuses et en mantille traversent sans cesse ce roman.
Là, où l’auteur-narrateur est le plus enthousiaste, c’est à propos des jeux et fêtes basques, qu’il s’agisse de la pelote basque et de ses compétitions où s’illustrent Ramuntcho et ses amis, des chants ou des concours d’improvisation, des cérémonies religieuses et des églises aux galeries si particulières, des danses et du fandango aux musiques naïves et ancestrales. Ce monde basque, aux coutumes si particulières, donne finalement l’impression d’une sorte d’enfance éternelle du monde, enclavée dans une terre à part, ni française ni espagnole, un morceau de paradis oublié dans l’histoire, un éden comme l’île Bourbon pu l’être pour Paul et Virginie au XVIII° siècle.
Cette âme basque se lit surtout sur les façades : « Les maisons basques émergeaient çà et là, très élevées, le toit débordant, très blanches dans leur vieillesse extrême, avec leurs auvents bruns ou verts. Et partout, sur leurs balcons de bois séchaient les citrouilles jaune d’or, les gerbes de haricots roses ; partout sur leurs murs s’étageaient comme de beaux chapelets de corail, des guirlandes de piments rouges : toutes choses de la terre encore féconde, toutes choses du vieux sol nourricier, amassées suivant l’usage millénaire, en prévision des mois assombris où la chaleur s’en va. »
Cette caractéristique si visuelle, si descriptive de son roman incite Pierre Loti à en donner une version théâtrale dans un mélodrame représenté en 1907, à l’Odéon. L’histoire de Ramuntcho partagé entre son attachement à sa terre et son désir d’ailleurs, son amour pour Gracieuse et son destin d’exilé, est doublée de séquences spectaculaires, dansées et folkloriques, avec fandango, chanteurs et joueurs de pelote basque évoluant sur scène.
Initiation et popularisation
Pierre Loti découvrant le Pays basque n’avait pourtant pas l’intention d’abandonner son pays au tourisme mais de le sanctuariser. C’était toute l’ambiguïté de son roman, œuvre de célébration, d’osciller entre initiation et popularisation. Trop conscient de ce paradoxe, Pierre Loti, lui-même double, homme de deux femmes, une Charentaise et une Basque, amis des riches Parisiens inaugurant le tourisme balnéaire et de pauvres artisans basques, se détache peu à peu des mondanités officielles allant jusqu’à désirer être transporté dans sa maison d’Hendaye pour y mourir face à la Bidassoa.
Ses séjours pendant près de quarante ans (1895-1933) en ont fait un observateur vigilant des aménagements touristiques de la côte. En 1908, face aux travaux de création de la station d’Hendaye Plage, il écrit un article prémonitoire dans La Figaro en 1908 : « L’agonie de l’Euskalerria ». Devant les constructions de villas, sanatorium et autre casino, dans le style basque mais pour une clientèle non basque, il dénonce ceux qu’il appelle les « malfaiteurs du littoral ». Ils ont senti le charme de l’Euskadi, dit-il, mais ils ne s’aperçoivent pas qu’ils le détruisent : « Sont-ils seulement capables de comprendre ce qui va manquer à leur pastiche de la ville basque ? L’empreinte du passé, le mystère, l’indéfinissable calme, la protection des vieilles églises, tout l’indicible de ce pays, et son âme même. »
Le tourisme, assure Pierre Loti, ouvre l’air du factice, et plus encore que de détruire la nature, il détruit l’histoire d’un lieu, la culture de ses habitants. Inquiet et clairvoyant, l’auteur de Ramuntcho conclut son article par ces mots aux allures de sentence prophétique : « Tout pays qui s’ouvre au tourisme abdique sa liberté en même temps que son lot de paix heureuse. »
P. C.
Ramuntcho (Résumé) :
Le roman compte deux parties :
La première partie présente Ramuntcho, 18 ans, joueur de pelote et contrebandier, et sa promise Gracieuse, 16 ans, pieuse et respectueuse des traditions. Ramuntcho se voit proposé de rejoindre un parent parti faire fortune aux Amériques au moment même où le service militaire (trois ans) le convoque. Ce service est nécessaire pour obtenir la nationalité française. Ramuntcho veut partir sans tarder avec Gracieuse, qui pour sa part lui demande de faire son service. Elle jure de l’attendre pour l’épouser à son retour.
Dans la seconde partie, trois ans plus tard, Gracieuse est enfermée dans un couvent après avoir refusé le mariage que voulait lui imposer sa mère. Ramuntcho, de retour, décide de l’enlever pour partir aux Amériques avec elle. Lorsqu’il passe à l’action, il découvre une Gracieuse soumise et peut-être même heureuse au milieu des nonnes et n’ose pas l’arracher de force à son couvent. Il part donc seul.
Ressources :
- Pierre Loti, Ramuntcho, folio classique, 288 p., 18 euros.
- Pierre Loti, L’Agonie de l’Euskal Herria, article de 1908 publié dans Le Château de la belle au bois dormant accès libre sur gallica.fr).
- Exposition Pierre Loti et l’agonie de l’Euskal Herria. Musée basque de Bayonne (jusqu’au 01.09.2024)
- Site de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti : pierreloti.eu
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