Adieu à l'Indigné
Stéphane Hessel a décidé de prendre congé, discrètement, par une froide journée de février. Nous aurions pu le croire éternel, tant sa force de conviction et l’intensité de ses engagements le rendaient jeune, indifférent à l’état-civil qui lui avait donné quatre-vingt quinze ans en novembre dernier, puisque le hasard l’avait fait naître au moment même où la vieille Russie entamait sa révolution.
Nous l’aurions voulu éternel, pour qu’il puisse encore longtemps nous apporter sa ferveur contagieuse, son enthousiasme juvénile, son pouvoir de séduction et d’indignation, ce thème, développé il y a environ trois ans dans un livre d’à peine un peu plus de dix pages, lui ayant apporté une tardive notoriété.
Nous aimerions que son exemple reste éternel et soit retenu par les citoyens du monde dont il faisait partie, dans la mesure où, né en Allemagne, amené, par sa profession de diplomate, à vivre à l’étranger, il revendiquait le droit au cosmopolitisme. Dans la mesure aussi où il avait participé à la rédaction d’une charte en faveur de l’humanité entière.
Nous souhaiterions que son message soit également retenu par nos compatriotes en ces temps de morosité et de crainte. « N’ayez pas peur ! » proclamait alors un pape à la parole charismatique. « Indignez-vous ! » proposait en écho ce laïc tolérant, exigeant à l’égard des puissants, généreux envers les opprimés. Les voix manquent aujourd’hui pour inviter chacun d’entre nous à conserver la force de faire face.
Il fut, dans le siècle précédent et le début de celui-ci, de tous les combats et de toutes les épreuves. Son destin personnel, où le tragique se mêle au romanesque, se confond avec les soubresauts de l’histoire contemporaine. Et jamais les meurtrissures de la vie n’ont entamé sa confiance en l’homme, ni sa volonté d’œuvrer pour l’invention d’un monde meilleur. Il a pu d’ailleurs, par son action professionnelle et politique, contribuer à poser les fondements de cette société fraternelle à laquelle il croyait. Mais des forces obscures aux pouvoirs largement supérieurs se sont toujours obstinées à en ralentir l’édification.
Au moment où il nous quitte, il nous laisse au moins un peu de cette flamme qui conduisit sa vie, cette étincelle qui survit aux échecs et transcende les promesses et qui a pour nom l’espérance. Merci Monsieur Hessel.
Yves Stalloni
• Stéphane Hessel dans l’École des lettres.
• Stéphane Hessel sur France Culture.