Olivier Rolin, romancier et bricoleur
Bric et broc rassemble des essais et des lectures du romancier OIivier Rolin. Ce recueil n’a sans doute pas eu l’audience qu’il méritait, comme si la modestie de son auteur, sa façon d’avancer à tâtons ses idées sur le roman devaient s’appliquer au livre.
Heureusement, les textes vivent, et on peut en parler des mois ou des années après.
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« Boîte à outils »
Le premier essai s’intitule « Boîte à outils » et aurait pu être le titre de l’ensemble. Rolin fouille, cite, construit une réflexion à partir de ses lectures, à partir aussi de l’étymologie. Ses connaissances en latin et en grec, dont on trouve l’écho dans un texte consacré à l’Iliade montrent que ce bagage-là n’est pas aussi inutile que le pensent nos gestionnaires et comptables. Dans la boîte, donc, des mots : « beauté », « style », « époque », « roman ». Des auteurs aimés de l’auteur : Michaux le troué et Chateaubriand le déplacé, Conrad et Vassili Grossman, Hugo, Claude Simon mais aussi Cendrars, Lowry et Kavadias, dont il a préfacé Le Quart, qu’avec lui on ne peut que recommander. Et puis ceux qui ont réfléchi sur l’acte de lecture, sur l’écriture et ses enjeux : Flaubert, Borges et Barthes souvent cités. Mais Sartre aussi, de façon étonnante…
Les textes de Rolin ont paru en revues ou été prononcés en public. L’auteur les a revus avant cette publication et il ajoute des notes de bas de page souvent éclairantes, qui précisent le propos quand c’est nécessaire. On les lira comme on aime soi-même bricoler : chercher dans la pensée d’autrui, dans le dialogue des livres de quoi fabriquer sa propre théorie. On aura cent fois envie de plonger dans Les Mémoires d’outre-tombe, Vie et Destin ou La Préparation du roman, séminaire tenu par Barthes au Collège de France, entre 1978 et 1980.
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« Arriver à de la beauté avec des mots »
Mais entrons dans ces essais. « Écrire, suggère Rolin, on le fait pour arriver à de la beauté avec les mots. » Cette beauté tient à l’expression juste, « inchangeable ». Elle naît aussi d’un déplacement : c’est « une phrase sortie de ses gonds », comme l’écrivait Céline. Rolin insiste sur l’idée de déplacement qui lui servira aussi à définir le style, et l’écrivain dans son temps : « Le devoir de l’écrivain, sa façon à lui d’être “moderne”, c’est de se retrancher de l’extrême contemporain pour transmettre une forme qui disparaît, dans une langue qui isole. Voyez Faulkner, voyez Proust. »
Cet exil c’est aussi la position du stylite, ermite debout sur la colonne, debout comme la langue, par opposition à la langue des médias, à la langue commune qui se vautre. Rolin joue sur les divers sens que prend « stulos », rappelant ainsi que ce mot désigne le poignard par lequel l’écrivain tue ses pères. Mais aussi, et c’est plus que jamais utile aujourd’hui, c’est selon Barthes, « la pratique écrite de la nuance ».
L’essentiel de sa réflexion porte sur le roman, art de l’ambigu, « jamais arrogant ni terroriste ». Ce genre très riche, servi de façons si variées met en valeur « nos destinées toutes tramées d’équivoques ». Dostoïevski était fasciné par Don Quichotte qu’il trouvait beau parce qu’il est en même temps ridicule. Le roman est l’art du multiple, du mouvant, du changeant ; c’est la « métis » grecque, incarnée par Ulysse l’avisé, le sage, le rusé.
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Le roman est l’art qui ne conclut pas
Le roman est l’art qui ne conclut pas, et on a envie de citer ici un écrivain qu’on n’attendait pas forcément, Sartre, dans Qu’est-ce que la littérature ? en 1947 : « Il nous fallait enfin laisser partout des doutes, des attentes, de l’inachevé, et réduire le lecteur à faire lui-même des conjectures, en lui inspirant le sentiment que ses vues sur l’intrigue et les personnages n’étaient qu’une opinion parmi beaucoup d’autres […] ».
Peu de choses ont changé, et contre la littérature romanesque que Dominique Viart nomme académique ou consentante, par opposition à la littérature déconcertante, contre « l’intérêt arrivé à satisfaction », ou la littérature « symptomatique », simple redondance du réel, Rolin propose l’exploration de cette mondialisation qui désarçonne ou effraie, à travers ses manifestations les plus variées, à travers une forme jamais satisfaite, et dans le respect des contradictions : « Peut-être ses nouveaux domaines ne sont-ils pas autre chose que le chemin qu’il fait vers eux. » Et contre tous les lecteurs qui préfèrent l’intrigue, qui vont « droit aux articulations », Rolin recommande avec Barthes la lecture « appliquée », « qui ne passe rien ».
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Quelles traces les lectures laissent-elles en nous ?
On voudrait que les études littéraires, du collège à l’Université, suivent les conseils ou les pistes que Rolin ouvre dans ces pages. Ainsi de ces mémorabilia, ruines de nos lectures qui pourraient être la véritable trace que laisse un texte en nous. Que gardons-nous des Misérables ? De Madame Bovary ? Du Rouge et Le Noir ? Et que dire de cette lecture transversale, thématique, qui étudierait les scènes consacrées au train, dont il parle dans une note, page 20 ?
On aimerait aussi lire ou relire avec lui Hugo et Chateaubriand, discuter avec Kundera et lui de Malaparte que tous les deux relisent, après que l’écrivain italien a passé des années au purgatoire. On prendrait le temps, on respecterait le silence, puisque durée et silence sont les principales victimes d’une époque qui veut tout faire vite, et tout classer sans trop penser.
Voilà donc un livre bref et précieux, un de ceux qui donnent à penser, sans chercher à conclure.
Norbert Czarny
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• Olivier Rolin, « Bric et broc », Verdier, 144 p.
• Voir sur ce site : Dominique Viart : « Anthologie de la littérature contemporaine française. Romans et récits depuis 1980 », par Norbert Czarny.
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