Manifestation du 11 janvier 2015, à ParisCe jeudi 8 janvier 2015 à 8 heures, quand le professeur entre dans sa classe, il sait qu’il ne pourra pas revenir sur la technique du commentaire composé, corriger les exercices de mathématiques ou exposer les causes de la Révolution de 1789.
Il sait qu’il lui faut faire usage de son autorité, de son prestige peut-être, de son statut sûrement, pour ouvrir le débat, inviter à la parole, rompre la pesanteur du silence. L’école, que l’on souhaite parfois sanctuariser, ne peut se montrer étrangère, aveugle et sourde au fracas du monde, aux actes meurtriers qui se déroulent à sa porte.
Le professeur donc, un citoyen comme un autre – non, plus citoyen que les autres – n’a pas attendu l’invitation de son ministre pour en parler. « En parler », car indépendamment du contenu de l’échange, c’est l’acte verbal lui-même qui a valeur conjuratoire. Il restitue à l’école une de ses missions précieuses : aider de jeunes esprits à percevoir avec justesse et mesure la gravité d’un événement et ses enjeux.

Les professeurs, éveilleurs de consciences

La vocation première de l’enseignement est bien, nul n’en doute, de transmettre le savoir. Mais quand le sang coule, que des innocents sont lâchement assassinés, que le fanatisme le plus ignoble répand la terreur, les détenteurs de la connaissance doivent devenir des éveilleurs de consciences.
Le professeur, secoué lui-même par l’horreur de la tuerie de la veille, risque d’avoir du mal à trouver les mots appropriés, exempts de haine et de subjectivité. Maintenant qu’il a donné la parole à la classe, il convient de la contenir, de la canaliser, de l’équilibrer. La jeunesse, il le sait, est excessive, impulsive, passionnée. Elle répugne à entendre la voix de la raison et s’accommode mal du compromis.
Pour que le débat reste digne – faute d’être serein – il devra dépasser le conjoncturel, oublier les images insupportables diffusées sur les écrans, pour se placer à un niveau plus élevé, philosophique éventuellement, ambitieux assurément.

Terrorisme, liberté d’expression et intolérance

Trois directions peuvent orienter la discussion. Trois thèmes qui se recoupent et dont chacun peut se nourrir de la culture universitaire tout en restant indexé sur le présent : le terrorisme, la liberté d’expression, l’intolérance.
Le professeur trouvera les mots, les arguments et les exemples ; il rappellera que le terrorisme, explicable dans les cas d’oppression ou d’iniquité, celui des héros de Malraux, de Sartre et de Camus, est injustifiable dans une démocratie libre et respectueuse des droits de chacun.
Il s’appuiera sur les grands modèles du passé, de Galilée à Voltaire ou Zola, pour rappeler que rien ne doit entraver la possibilité de donner son avis, quand celui-ci reste dans les limites de la loi, et que la satire a toujours été le plus pacifique des moyens pour corriger les injustices ou les excès.
Il montrera, références à l’appui, les ravages exercés par le refus de l’autre, par l’intégrisme religieux, par le rejet d’une « race », d’une religion, d’une catégorie.
Il expliquera que la lâche exécution de journalistes, de caricaturistes, de préposés au maintien de l’ordre ne peut trouver aucune excuse et qu’elle relève toujours, au mieux de l’ignorance, au pire de la haine.
Il finira enfin – mais sera-t-il entendu ? – par rappeler qu’on ne répond pas à la haine par la haine, mais par la réflexion, le courage et la grandeur d’âme.
Le cours de maths, d’histoire ou de français aura été perdu. Mais les enfants qui composent la classe, bouleversés par la folie des hommes et par un massacre sanglant, auront grandi.

Yves Stalloni

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Sur le site de l’École des lettres
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• La morale républicaine à l’école : des principes à la réalité, par Antony Soron.
• Lire en hommage ? – Lire les images, par Frédéric Palierne.
• Cogito « Charlie » ergo sum, par Antony Soron.
Le temps des paradoxes, par Pascal Caglar.
Le bruit du silence, par Yves Stalloni.
• Trois remarques sur ce que peut faire le professeur de français, par Jean-Michel Zakhartchouk.
• Paris, dimanche 11 janvier 2015, 15h 25, boulevard Voltaire, par Geoffroy Morel.
• « Fanatisme  » , article du  » Dictionnaire philosophique portatif » de Voltaire, 1764.
• Pouvoir politique et liberté d’expression : Spinoza à la rescousse, par Florian Villain.
Racisme et terrorisme. Points de repère et données historiques, par Tramor Quemeneur.
 La représentation figurée du prophète Muhammad, par Vanessa Van Renterghem .
En parler, par Yves Stalloni.
« Je suis Charlie » : mobilisation collégienne et citoyenne, par Antony Soron.
• Liberté d’expression, j’écris ton nom. Témoignages de professeurs stagiaires.
• Quel est l’impact de l’École dans l’éducation à la citoyenneté ? Témoignage.
L’éducation aux médias et à l’information plus que jamais nécessaire, par Daniel Salles.
Où est Charlie ? Au collège et au lycée, comment interroger l’actualité avec distance et raisonnement, par Alexandre Lafon.
• « Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers, par Anne-Marie-Petitjean.
• Discours de Najat Vallaud-Belkacem, 22 janvier 2015 : « Mobilisation de l’École pour les valeurs de la République ».
Lettre de Najat Vallaud-Belkacem à la suite de l’attentat contre l’hebdomadaire « Charlie Hebdo ».
Liberté de conscience, liberté d’expression : des outils pédagogiques pour réfléchir avec les élèves sur Éduscol.
Communiqué de la Fédération nationale de la presse spécialisée.
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Yves Stalloni
Yves Stalloni

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Je me permets de vous faire part de la lettre que mes élèves de 3ème ont rédigée dés jeudi matin. Je n’ai pas de commentaire à faire, tout est là:
    Baccarat,
    Le jeudi 8 janvier 2015
    Charlie,
    Nous sommes des élèves de 3ème au collège de Baccarat, une petite ville tranquille de l’Est de la France. Nous sommes profondément choqués par ce qui t’est arrivé hier et nous tenons à t’exprimer notre soutien.
    Une fusillade à la télé, une de plus. Cependant le bruit des balles résonne. On zappe et d’une chaîne à l’autre, la même info horrible. On mesure alors la gravité de ce qui se passe.
    Colère, injustice, incompréhension, peur, frustration. Tous ces sentiments s’embrouillent. Certains d’entre nous ont appris qui tu étais le jour où on a voulu te faire disparaître. Impossible de rester indifférent. Hier, nous sommes tous devenus Charlie.
    Deux terroristes ont voulu te faire taire parce que tu avais dit des choses qui ne leur plaisaient pas. Au lieu de te parler, de discuter avec toi, ils t’ont amputé, blessé à mort. En quelques minutes, l’information a fait le tour du monde et à l’unanimité nous nous sommes sentis touchés, bâillonnés comme toi.
    Il faut pourtant laisser derrière nous l’envie de vengeance. Ils sont deux, nous sommes des millions, nous sommes des milliards. Restons unis, soudés, montrons leur que nous sommes plus forts qu’eux. Nos armes sont nos gestes, nos mots, nos feuilles et nos stylos. Ne les laissons pas nous faire peur, ne les laissons pas nous influencer, ne les laissons pas nous faire taire. Il faut que tu continues à t’exprimer, c’est ton droit. Nous sommes à tes côtés. Il faut que nous défendions ta liberté et la nôtre. Tu n’as pas perdu les membres de ta famille pour rien, nous te devons cela.
    Nous sommes tous avec toi. A bientôt.
    Léo, Jayson, Manon, Aurélien, Bryan,
    Florian, Charline, Romain, Manon, Allan,
    Arthur, Isaure, Camille, Emy, Adeline, Arthur,
    Anthony, Gérald, Kelly, Lora, Gauthier et Audric.

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